Les entretiens aVoir-aLire
Le 6 juillet 2010
D’Olivier Assayas, on pourrait dire beaucoup, mais peut-être avant tout que sa curiosité, cinématographique aussi bien qu’intellectuelle, cherche sans cesse à se dépasser. A l’occasion de la sortie en salles de Carlos, rencontre avec un auteur français de haute volée, qui signe un film polyglotte, touche-à-tout, où se mêlent politique, orgueil et gloire médiatique.
- Réalisateur : Olivier Assayas
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D’Olivier Assayas, on pourrait dire beaucoup, mais peut-être avant tout que sa curiosité, cinématographique aussi bien qu’intellectuelle, cherche sans cesse à se dépasser. A l’occasion de la sortie en salles de Carlos, rencontre avec un auteur français de haute volée, qui signe un film polyglotte, touche-à-tout, où se mêlent politique, orgueil et gloire médiatique.
aVoir-aLire : Comment s’est passé le temps long de l’écriture ?
Bizarrement, il a été moins long qu’il semblerait. Ca s’est passé vraiment par périodes. Il y a eu une première période où j’ai travaillé avec un scénariste, Dan Franck, pas tellement sur l’écriture du film, mais plus du point de vue de comment on allait découper. Le problème, c’est que dans un premier temps, on m’avait proposé de faire un film, mais quand j’ai développé le projet, c’est devenu deux, puis trois... Il fallait qu’on prenne des décisions du point de vue d’où on allait faire les coupures. Cette histoire devait se raconter en deux, voire trois fois, et il a fallu trouver un accord avec le producteur du film et le diffuseur. J’ai l’habitude d’écrire très librement, et j’ai écrit ce film très librement, mais avant de pouvoir me lancer vraiment dans une écriture plus active, j’avais besoin de dire au moins au diffuseur ce qu’il y aurait grosso modo dans chacun des films. Le point de départ et le point d’arrivée me sont tout de suite apparus très clairement : cela me semblait nécessaire de commencer lors de la première opération de Carlos (l’attentat contre Mohammed Boudia, qui place Carlos dans la position de devenir un agent important du FPLP), jusqu’à son arrestation au Soudan. C’était le cadre : mais au sein de ce cadre, on devait définir quels étaient les blocs qu’on allait utiliser, et comment ils allaient s’organiser. Une fois que tout ça a été décidé, le film était conçu en blocs relativement simples, en gros chapitres. Chacun d’entre eux était pour moi une sorte de boîte dans laquelle j’ai d’abord mis tous les éléments concrets - en particulier ceux réunis par Stephen Smith, qui a fait le travail d’enquête préalable -, et tous ceux que je trouvais dans les différentes biographies consacrées à Carlos, etc. Ces blocs se sont écrits tous seuls, relativement facilement, parce qu’ils ne relèvent pas tant que ça de la scénarisation. La scénarisation consistait plutôt à hiérarchiser ou articuler tous les éléments dont on disposait, y compris les dialogues. C’était un travail assez marrant, parce que le matériau brut existait... il fallait juste l’agencer.
On a l’impression, dans la version qui sort au cinéma, que le point délicat est toujours celui de la suture...
C’était un travail d’articulation, à plus forte raison quand il s’est agi d’établir la version unitaire. Là, il y avait la nécessité de faire apparaître des sutures qui ne correspondaient pas forcément au rythme du scénario ; des choses nouvelles se sont dessinées de ce fait.
Pourquoi avoir conservé la prise d’otages à l’OPEP comme bloc central, plutôt qu’une autre période qui aurait pu être historiquement décisive ?
Il n’y en a pas tant que ça. Du point de vue de l’histoire de Carlos, la seule période importante qu’on résume vraiment est celle des années 1980. Après l’arrestation de Magdalena Kopp, il y a eu une campagne d’attentats beaucoup plus vaste que celle qui figure dans le triptyque ; dans la version cinéma, on l’a beaucoup condensée, parce qu’il fallait faire des choix. Mais aussi, du point de vue de la formation de la personnalité de Carlos et du mythe de Carlos, l’échec / réussite de l’opération de Vienne est déterminante ; c’est le moment de l’apogée pour Carlos. Ce qui suit est un long déclin. Du point de vue du FPLP, cette opération est un échec ; donc il est chassé du FPLP, et à partir de là son statut, y compris du point de vue des enjeux historiques de son époque, est moindre ; il devient un marchand d’armes, un mercenaire, l’agent des Irakiens, puis des Syriens... Mais il n’y a plus ce côté flamboyant des premières années.
Le paradoxe, c’est qu’on parle d’une figure éminemment politique, d’une période très politisée... Pourtant, le film n’est pas vraiment un film politique.
Pour moi, c’est un film dont le sujet est la politique. La problématique de l’engagement politique est définie par une époque, des forces en présence, une réflexion sur la société à un moment donné. Je représente des personnages qui sont engagés politiquement, mais en fonction de paramètres qui ne sont pas transposables dans l’époque présente ; l’époque était d’une autre nature, les idéaux des uns et des autres aussi, et la situation géopolitique du monde était complètement différente. On ne le savait pas, ou on le négligeait, mais on était encore dans la guerre froide ! Aujourd’hui, on est dans un monde défini par des forces différentes. Par contre, il me semble que la perspective d’une génération, qu’on a sur l’histoire de Carlos, permet d’avoir un regard d’historien ou de journaliste, parce qu’on dispose d’une connaissance des faits qui aurait été impossible à l’époque. Les informations véridiques étaient inaccessibles ; elles sont devenues accessibles au fur et à mesure. Avec cette perspective relativement courte à l’échelle de l’histoire, on peut au fond démonter la façon dont s’affrontent, sur ce champ de bataille-là, les forces historiques de la politique. C’est quelque chose qui m’a toujours plus intéressé que l’engagement spécifique, dans la mesure où j’ai l’impression qu’aujourd’hui tout le monde est de très bonne volonté pour s’engager : par exemple, on superpose la thématique du social et celle du politique à tire-larigot... J’ai toujours cru qu’il était très important de comprendre la stratégie et la politique, pour pouvoir penser d’une façon plus riche et complexe la question de l’engagement. Mais je ne suis pas un militant ; j’ai l’impression de donner des outils à travers le cinéma pour permettre de lire la société, le présent, l’histoire de façon à ce que chacun, du point de vue de son engagement, puisse penser la politique.
Malgré tout, n’est-on pas avec Carlos dans la dernière figure d’une sorte de romantisme politique ?
Bien sûr. C’est quelque chose que j’ai découvert en me documentant, en réfléchissant, en côtoyant la personnalité de Carlos. Je ne me rendais pas compte à quel point il était un produit de son époque, à quel point il y ressemblait, et était, y compris dans le dévoiement de ses idéaux, l’émanation de son temps. Son époque était profondément idéaliste, au bon et au mauvais sens du terme, notamment dans son refus des problématiques matérielles. Il y avait un détachement du matériel au profit de l’accomplissement de soi-même et de la société ; accomplissement projeté dans le futur proche, d’autant plus que la révolution serait proche. Au début, dans la personnalité de Carlos, cet engagement-là est très visible et très présent. Cela change dès le moment de l’opération de Vienne, parce que cette conviction de soldat, qui devrait lui suffire pour agir, lui fait se rendre compte que, quand il est confronté aux impasses de la politique, il ne dispose pas de la maturité qui lui permettrait de faire les bons choix. Il est livré à lui-même, confronté à une situation infiniment plus retorse qu’il l’imagine, et beaucoup de ses illusions fondent.
Vous parlez beaucoup d’époque ; vous avez vous-mêmes vécu ces années. Est-ce que ce sont un peu « vos » années 1970, ou plutôt un mélange ?
C’est fatalement un mélange, dans le sens où j’ai suffisamment vécu les années 1970, quand j’étais adolescent, pour avoir un sens de leur nature, de leur grain, de leur texture... Même quand je faisais parler les personnages, je les faisais parler en langage des années 1970, et je me disais « Tiens, c’est marrant, c’est une langue que je n’ai pas oubliée ». La langue de bois politique des années 1970, je sais la parler, ou la traduire quand je l’écoute. Après, j’ai croisé des militants latino-américains et le Paris de cette époque ; néanmoins, ce n’était pas non plus mes circuits, et du fait de mon âge et d’autres choses, mon chemin n’avait rien à voir avec celui de Carlos ou de ceux qui l’entouraient. Parce que paradoxalement, dans le film, ce qui se passe à Paris met en jeu très peu, voire aucun militant français. C’étaient des Libanais, des Latino-Américains... Carlos n’avait littéralement aucun contact avec des militants français ou parisiens.
Propos recueillis à Paris le 5 juillet 2010.
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