Le 17 novembre 2012
- Dessinateur : LARCENET, Manu
- Série : COMBAT ORDINAIRE (LE)
Ce n’est pas au creux d’un profond fauteuil que je vais t’inviter ami lecteur mais sur la banquette en skaï d’un bistrot parisien. Par un chouette soleil de printemps, bras dessus, bras dessous avec mon comparse Jérôme, nous partons interviewer l’auteur qui fait sensation, (on ne parle ni plus ni moins de la bd de l’année) : Manu Larcenet pour le 2ème tome de Blast.
Ce n’est pas au creux d’un profond fauteuil que je vais t’inviter ami lecteur mais sur la banquette en skaï d’un bistrot parisien. Par un chouette soleil de printemps, bras dessus, bras dessous avec mon comparse Jérôme, nous partons interviewer l’auteur qui fait sensation, (on ne parle ni plus ni moins de la bd de l’année) : Manu Larcenet pour le 2ème tome de Blast.
Bonjour Manu Larcenet
Bonjour Bedeo !
J’ai pu lire que tu portais ce projet depuis l’âge de 15 ans, quel a été le déclic d’écriture ?
MLOui c’est exact. Le déclic a été celui de la maturité. Dans ma vie, dans le dessin, l’écriture, le rythme, dans la bande dessinée, tout était plus facile et donc favorable à ce projet qu’il y a 30 ans.
Le combat ordinaire a été très formateur mais honnêtement je commençais à en avoir ras le bol. J’avais envie de plus de noirceur, de descendre bien bas dans l’âme humaine. Le perso était sympa et je me suis dit que plutôt d’embrayer sur un personnage sympathique, gentiment torturé, il valait mieux se lancer sur un mec bien atteint. C’était une manière aussi d’explorer une vraie différence.
Tu as mis longtemps pour trouver les traits de Polza, ce trait si particulier, si dérangeant ?
ML Non pas tant que ça mais je ne l’ai pas toujours trouvé. Le trait évolue d’album en album. C’est selon l’histoire. Le premier album se passait en été, le second en hiver. Je ne peux pas adapter le même graphisme, les mêmes gris, les mêmes manières de faire.
Cela faisait longtemps, que j’avais envie de me frotter à quelque chose de plus réaliste. Ce sont mes premiers amours : Cosey notamment. C’est une manière de ne pas recommencer ce que j’avais déjà fait ni le retour à la terre, ni le combat ordinaire.
Je n’étais pas sûr que l’éditeur ou le public suive. Mais c’était un besoin.
C’est donc un luxe mener un tel projet finalement ? (Grand format, pleine page, beaucoup de silence, n&b...)
ML Oui c’est un luxe qu’on s’octroie à soi. Il ne faut pas avoir peur de décevoir le lecteur, il ne faut pas avoir peur de le chambouler et de chambouler son éditeur aussi. C’est un risque mesuré dans le sens où si ce livre avait existé mais n’avait pas été édité, j’aurais continue à le faire, quitte à m’auto éditer.
Quant au silence, j’ai été très décomplexé par l’homme qui marche de Taniguchi dans lequel, il se permet de dessiner le vent, les feuilles. Pourquoi les japonais peuvent-ils le faire et pas nous ? Aussi ai-je pris un grand format et je me suis permis tout ce que j’avais envie de me permettre que je n’avais pas osé dans les autres histoires. C’est aussi une série qui se prête bien au jeu, ce sont des scènes de vie.
Comment rentre-t-on dans la tête de Polza Mancini ? Comme un acteur, tu t’immerges dans le personnage ?
ML Oui tout à fait, c’est affreux d’ailleurs. Y’a une scène où il casse une fenêtre pour rentrer dans une maison et je sais qu’il y a des gestes qu’on ne peut pas faire quand on est gros (je ne suis pas fin..) comme des gens sveltes. Il a donc fallu que je m’imagine quels gestes je devais faire pour casser la vitre, grimper sur le petit toit. Cela va de ça à des scènes beaucoup plus dures pour lesquelles je dois imaginer mes réactions face à des horreurs.
Je suis avec lui en permanence, c’est pourquoi que je tolère très très peu les remises en cause. Je suis trop dedans. J’ai essayé de faire un autre album, ce n’était juste pas possible. Je suis insupportable, pas sympa avec ma famille, je suis énervé. Je cherche et j’y réfléchis du soir au matin.
Ça m’habite et m’emploie 24h/24. C’est une relation particulière qui s’établi entre mon personnage et moi. Ça m’arrive même de prendre certains traits de son caractère.
C’est entre 24h de la vie d’une femme et chronique d’une mort annoncée ?
Oui, c’est joli ça.
ML La garde à vue de 48h, c’est mon astuce. Cela permet à mon personnage de raconter son histoire. Les flics sont là pour ça. Il a tout intérêt à parler.
Comment arrive-t-on, lorsque l’on s’appelle Manu Larcenet, à gérer autant de projets en même temps ? Passer du sérieux BLAST, AU SENS DE LA VIS, puis à PEU DE GENS SAVENT pour revenir à BLAST : comment fais-tu donc ?
ML Je ne fais plus que ça. J’ai essayé de faire des one shot ou des mini-séries d’humour que j’avais très envie de faire. Mais c’est trop difficile, il faut changer d’univers trop radicalement.
Le retour à la terre est peut-être le seul album que je pourrais tenter de faire. Avec Jean-Yves on est devenus très pro. On est au point, on se connait par cœur.
N’as-tu pas eu peur de faire "fuir"/"rebuter" ton lectorat habituel avec un sujet qui s’apparente à une thérapie ? Le risque était grand, non ?
ML Ce n’est vraiment pas une catharsis, je suis déjà en thérapie. C’est juste un sujet et il n’y a aucun besoin. J’aurais très bien pu faire du Pifou poche si l’envie avait été là. Il se trouve que j’avais envie d’explorer ce sujet. Il faut que je le traite de la manière la plus radicale qui soit à savoir rentrer complètement dans le personnage et de l’amener jusqu’au bout. En même temps je ne suis pas que ça. Mais je n’avais pas encore montré toute la noirceur d’un personnage. C’était le moment de le faire, je crois que je n’aurais pas eu le courage de le faire plus vieux, parce que ça use la bd. C’est répétitif. On a vite fait de se faire chier.
C’est un partage cet album, le partage des obsessions. Il y a un discours ambiant dans la bd en ce moment. On veut faire des hors la loi alors qu’en fait il s’agit d’une bande de gens polissés, en bonne santé, riches, bien comme il faut. Ca me plaisait quand j’avais 13 ans, maintenant ça me gonfle.
J’avais envie d’une bd qui parle de la marge, dans un contexte difficile.
Notre société a peur des drogués, des alcooliques, des accros aux médocs, on sent souvent du mépris pour cette marge justement, j’avais donc envie d’en parler.
Avec 3 albums par an, en moyenne, Manu Larcenet ne serait-il pas un peu "boulimique" ?
ML Le rythme est toujours le même, les albums étant plus épais, tu fais 48x3, ça fait environ 170 p. Or avec Blast j’en fais 200, je travaille donc plus qu’avant ! La seule différence c’est que c’est sur un seul album. Quand je ne suis pas en période d’écriture, je fais une planche par jour quoiqu’il arrive. C’est mon rythme et si je ne m’y astreins pas, je deviens une grosse feignasse et je ne fais plus rien.
Ma liberté c’est de faire mes dessins sur des feuilles A4 ou A3, séparées, sur lesquelles je prends mon pied à dessiner sans cadre. Ensuite, viens ma deuxième passion dans la vie (qui était la première à l’origine) qui est le graphisme et là je m’éclate à mettre tout ça en forme sur l’ordinateur. Je recadre, je mets des bulles. C’est donc un double plaisir. Ça me permet de rehausser certains dessins, comme lorsque l’on encadre un tableau.
Les dessins d’enfants, ce sont ceux de tes enfants ? Tu leur verse des droits d’auteurs ?
ML Rires !
Par définition mes enfants sont mes ayant droits, quand j’aurai cassé ma pipe c’est à eux qu’ira tout mon argent. Ça me fait déjà mal alors des droits d’auteur, et puis quoi encore... !
Ils savent que ce sont les leurs ?
ML Oui. J’ai scanné tous leur dessins depuis qu’ils dessinent (ils ont 5 et 8 ans). Mais maintenant ils dessinent trop bien surtout ma grande, ses dessins sont trop figuratifs. J’utilise donc ma formidable bibliothèque de dessins abstraits.
Pourquoi les scènes de scarification sont-elles en couleur ?
ML J’avais tenté de le faire en n&b et malheureusement je n’avais pas trouvé de moyen pour que cette scène ressorte et que l’on soit sur qu’elle ne soit pas au présent. Mon obsession c’est la lisibilité. Je veux que tout le monde puisse lire le récit sans se poser de question.
En fait j’avais un doute et j’ai donc opté pour la couleur comme ça on comprendra qu’elle ne fait pas partie du présent..
Je pense qu’à chaque fois, qu’il va se prendre un coup dans la gueule et qu’il s’évanouira, il y aura une réminiscence en couleur, un souvenir d’enfance.
On a l’impression qu’il quitte son état (quasi minéral/végétal en ce sens qu’il se fond dans la masse, dans le décor, sans âme) devient plus charnel
ML Oui c’est exactement ça, ça fait une pause dans son histoire, on voit par où il est passé.
La dédicace à la fin ?
ML Yvan Goul, c’est mon cousin et c’est lui qui m’a appris à dessiner, il m’a montré que le dessin était une manière de passer le temps mais pas juste du coloriage une réelle manière de s’exprimer. Son décès m’a fait un vrai coup…
Quant à Mano Solo, c’est la première personne, hormis des proches pour qui j’ai pleuré quand j’ai appris sa mort. J’ai chialé comme un môme.
Desproges disait « quand Brassens est mort j’ai pleuré, quand Tino Rossi est mort, j’ai repris deux fois des moules. »
C’est ce qui m’est arrivé. Les morts célèbres je m’en fous mais pas Mano. Je le suivais depuis ses premiers albums. Quel artiste, quelle puissance d’évocation ! Il mettait ses tripes sur la table et plus personne, selon moi, ne le fait plus. C’est un monument de poésie. Y’en a plein d’autres qui auraient pu mourir à se place et j’aurais repris des moules.
La vie est injuste ! Rires…
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