Le 6 juillet 2010
- Acteur : Édgar Ramírez
Sur les écrans, il est le "Carlos" choisi par Assayas pour son film-fleuve sur l’un des terroristes les plus cyniques, redoutables et redoutés de la deuxième moitié du vingtième siècle. Rencontre avec un acteur vénézuélien qui apporte bien davantage que des promesses.
Au premier coup d’œil, on est rassuré : Edgar Ramírez n’est pas Carlos. Certes, ils gardent en commun le goût des langues étrangères, un certain brio de l’attitude et des mots, mais la ressemblance s’arrête là. Souriant et aimable, il répond victimes quand on lui parle terreur, et expose sa vision de la dimension humaine du travail d’acteur. Edgar l’humaniste n’est pas Carlos le cynique, et la contradiction est d’autant plus intéressante que dans le dernier film d’Olivier Assayas, l’acteur vénézuélien notamment vu aux côtés de Keira Knightley dans Domino campe un rôle complexe, d’une durée hors-normes, à la fois sombre et fascinant. Rencontre avec un comédien qui, à défaut de revendications internationalistes, vient de se trouver une étoffe internationale.
aVoir-aLire : On a beaucoup lu sur comment sortir de la peau des personnages... Je voudrais savoir comment on reste dans la peau de Carlos, sept mois d’affilée.
On joue. Je crois qu’il n’y a pas de réponse assez spécifique pour ça. Pour moi, cela a été un processus très organique, pas intellectuel. J’essayais de ne pas faire une trop grande intellectualisation du processus, à cause de l’énorme niveau de contradictions qu’avait ce personnage. C’est pour ça que j’essayais de jouer, sans y penser trop. Il y a eu les six mois de tournage, mais aussi toute la préparation, et toutes les recherches : tout ça, c’était un an !
Est-ce qu’Olivier Assayas a donné des directions en amont du tournage ?
Pas du tout. On n’a pas répété, on n’a pas fait de pré-orientations avant : cela a été un film qui relevait plus du happening, de la performance, au lieu et à l’instant du tournage. Olivier, c’est un metteur en scène qui fait beaucoup confiance à ses comédiens ; il ne te donne pas de paramètres trop restrictifs ou spécifiques sur comment jouer une scène particulière. Il se laisse surprendre : il se cache, il te voit, il t’observe, comme un enfant curieux, habile... Ca a été génial, il te donne beaucoup de liberté pour jouer.
Qu’est-ce qui, dans le personnage de Carlos tel qu’il apparaît dans le scénario, vous a personnellement touché ?
Son insolence, je crois. D’une certaine façon peut-être perverse, ça m’a fasciné un petit peu. Son attitude toujours effrontée, hautaine... Carlos, autant que le personnage écrit par Assayas, était un personnage qui même au bord de la débâcle, avait le moral, et avait toujours de l’orgueil. Ca m’a fasciné.
Pourquoi d’une façon perverse ?
Oui, parce qu’être toujours hautain et effronté... La vie n’est pas comme ça, et je ne suis pas comme ça. Cela a été un peu libérateur, aussi, en tant qu’être humain, de m’être mis dans la peau de quelqu’un qui, comme une sorte de Don Quichotte, s’est battu avec son fantasme, et avec une insolence plutôt folle, obsessive.
Est-ce que la question du terrorisme est entrée en compte dans la construction du personnage ? Comment gérer le problème moral en tant qu’acteur ?
Il y a deux dimensions. En tant qu’acteur, je ne peux pas imposer, ni mes idées, ni mes conceptions du monde au personnage. On doit embrasser toutes les caractéristiques et tous les éléments qui appartiennent au personnage, toute la lumière et toute l’obscurité. Je crois que notre boulot, en tant qu’acteurs, est au service des personnages, et pas dans le sens inverse. En tant qu’Edgar, si les actions qu’on fait pour défendre des revendications politiques ou idéologiques impliquent le sacrifice de victimes innocentes, là je trace une ligne, et je ne le justifie pas. Pour moi, la valeur de la vie est absolue et constante. Je me suis bien battu avec cette idée, parce que contrairement au personnage de Carlos, je ne crois pas au niveau du dégât collatéral, même minimum. Pour moi, c’est un euphémisme destiné à déguiser la dévaluation de la valeur de la vie. C’est ça le jeu : j’essaie aussi de jouer des personnages qui n’ont rien à voir avec ma propre personnalité, pour que je puisse approfondir ma connaissance de la condition humaine.
Cela aussi fait partie d’une certaine « libération » ?
Non, ça, c’est vraiment seulement avec l’insolence. En tant qu’être humain, j’essaie toujours de comprendre les points de vue et d’être le plus humble possible ; mais au sujet de la terreur, je ne peux pas la justifier, peu importe d’où elle vient. Il n’y a pas de revendication politique ou idéologique qui justifie le sacrifice d’une vie humaine, c’est absolu.
Vous appartenez à une génération plus jeune que celle d’Olivier Assayas. Est-ce que vous avez fait une sorte d’apprentissage historique de la période, en l’incarnant ?
J’ai essayé de lire autant que possible de l’histoire contemporaine pour comprendre le contexte politique de l’époque. Pendant les années 70 et les années 60, on a vu comment toute une génération a fait le passage de la théorie révolutionnaire à l’action militaire. Je crois que le film, d’un point de vue plutôt dramatique, analyse ce qui s’est passé, et pourquoi beaucoup de ces rêves de révolution et de changement n’ont pas réussi. Peut-être que maintenant, on a la perspective historique pour en parler. Mais dans le film, on a essayé d’en parler d’un point de vue dramatique et humain, pas d’un point de vue politique. C’est un film qui parle de la politique, mais ce n’est pas un film politique.
De ce point de vue humain, n’y a-t-il pas une certaine solitude du personnage de Carlos à l’intérieur du film, et également une solitude de tournage ? Il y a des acteurs récurrents, mais vous seul tenez l’endurance jusqu’au bout...
Ca a été une similitude très ironique. Même à la fin de l’histoire, le personnage était tout seul... comme nous ! Parce qu’à la fin du tournage, nous étions très peu, quinze ou vingt personnes qui avaient commencé depuis le début. C’était intéressant : l’environnement à la fin du tournage était très proche de celui de Carlos à la fin du film.
On vante beaucoup vos facultés polyglottes. Du point de vue de l’acteur, y a-t-il une différence à jouer dans plusieurs langues ? Y a-t-il des inhibitions qui tombent ?
C’est intéressant, je n’y ai jamais pensé... Je me sens très à l’aise dans les langues que je parle. Chaque langue donne une expérience particulière, est une mentalité différente. Chaque langue a un rythme particulier et différent, une façon de construire les idées... Mais pour moi, c’est drôle de changer d’une langue à une autre, surtout pour un personnage comme Carlos. Cette confusion de nationalités, de langues a été une partie importante du personnage, de son caractère mimétique, international et... internationaliste ! Et aussi romantique : il croyait à une révolution internationale, où tous les gens viendraient ensemble pour changer le monde, dans une sorte de tour de Babel.
Et le fait d’apprendre l’arabe de manière phonétique était encore une expérience différente ?
Différent, et dur. La langue arabe n’a rien à voir avec les langues occidentales, et ça a été un boulot énorme.
Propos recueillis à Paris le 5 juillet 2010.
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