Le 27 septembre 2020
Sans surprise, Detroit a suscité une levée de boucliers aux Etats-Unis, preuve que leur ségrégationnisme latent reste un sujet sensible. Dommage, le film de Kathryn Bigelow est une claque... au meilleur sens du terme !
- Réalisateur : Kathryn Bigelow
- Acteurs : Anthony Mackie, Will Poulter, John Boyega, Algee Smith, Jacob Latimore
- Genre : Drame, Historique
- Distributeur : Mars Distribution
- Durée : 2h23mn
- Date télé : 27 septembre 2020 20:55
- Chaîne : Arte
- Date de sortie : 11 octobre 2017
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Résumé : Été 1967. Les États-Unis connaissent une vague d’émeutes sans précédent. La guerre du Vietnam, vécue comme une intervention néocoloniale, et la ségrégation raciale nourrissent la contestation. À Detroit, alors que le climat est insurrectionnel depuis deux jours, des coups de feu sont entendus en pleine nuit à proximité d’une base de la Garde nationale. Les forces de l’ordre encerclent l’Algiers Motel d’où semblent provenir les détonations. Bafouant toute procédure, les policiers soumettent une poignée de clients de l’hôtel à un interrogatoire sadique pour extorquer leurs aveux. Le bilan sera très lourd : trois hommes, non armés, seront abattus à bout portant, et plusieurs autres blessés…
Critique : Bien qu’ils soient peu connus en France (on y évoque plus facilement les émeutes de Watts survenues deux ans plus tôt ou celles qui, l’année suivante, feront suite à l’assassinat de Martin Luther King), les évènements qui ont secoué la ville de Detroit à l’été 1967 sont restés une plaie sensible pour la capitale économique du Michigan et les Etats-Unis dans leur ensemble. Une page de l’histoire moderne sur laquelle a décidé de revenir Kathryn Bigelow comme elle était déjà revenue sur deux éléments plus récents : la guerre en Irak (Démineurs, 2009) et l’exécution de Ben Laden (Zero Dark Thirty, 2012). Son intention première était assurément de rappeler aux plus jeunes que la situation américaine, qui continue à voir naître régulièrement des émeutes raciales, ne date pas d’hier et l’idée de faire sortir son film cinquante ans après les faits qui y sont décrits en fait un acte commémoratif louable.
Le postulat choisi par la réalisatrice consiste à concentrer son scénario sur la reconstitution d’un fait divers sordide qui a eu lieu en parallèle au soulèvement populaire plutôt que de nous immerger, deux heures durant, au cœur des violences civiles. Sa construction se compose, comme le veut la tradition, de trois parties. La première d’entre elles démarre sur une petite leçon d’histoire, didactique mais fort agréable, suivie de la reconstitution de la descente de police qui a mis le feu aux poudres dans un quartier présenté comme au bord de l’implosion. La mise en scène, profitant d’une caméra à l’épaule et d’un sur-découpage permettant de multiplier les points de vue, illustre parfaitement l’irréversible montée de la violence des parties en présence. L’utilisation d’images d’archives vient parfaire ce travail de contextualisation de la forme la plus radicale des tensions raciales et sur la place que peuvent y trouver des personnages n’y participant pas directement.
- Copyright Mars Films
Le plus emblématique de ces personnages est Larry, membre d’un groupe de rhythm & blues, qui n’a en tête que de réaliser ses rêves de gloire. La scène où le théâtre se vide juste avant son passage sur scène et qu’il s’entête à chanter devant une salle vide tandis que les lumières s’éteignent en dit long sur son drame, et à travers lui sur la difficulté des Afro-américains à exister. Parmi les autres membres de cette communauté, Dismukes est également riche en puissance évocatrice, dans le sens où, en tant que membre –à mi-temps– de la police fédérale, il observe, impuissant, les événements et n’a alors pas d’autre choix que de s’interroger sur sa place.
La seconde partie, et pivot central, du film, est entièrement centrée sur le drame survenu dans le motel Algiers où une descente de police a tourné au cauchemar. Au cœur de cette escalade de violence, le jeune policier interprété par l’excellent Will Poulter est une figure terriblement ambivalente. Dans la façon dont où il apparaît dans un premier temps comme n’étant pas fondamentalement raciste, et dont une première bavure nous le présente comme naïvement inconscient de la gravité de ses actes mais effrayé à l’idée d’être accusé de meurtre, il est loin d’être le monstre fasciste auquel il serait trop facile de le caricaturer. C’est cette ambiguïté qui empêche Detroit d’être réduit à un banal brûlot anti-policier alors que c’est tout une société niant son ségrégationnisme cruel qui est dans l’œil du visuel.
- Copyright Mars Films
Toute l’intelligence de Kathryn Bigelow est justement de ne pas prendre parti en décrivant un face-à-face ultra-manichéen dans lequel aucun Afro-américain n’aurait rien à se reprocher. Son choix est de nous faire observer de l’intérieur la mécanique avec laquelle la brutalité dont font preuve les membres de la police municipale –que même les militaires désapprouvent– va inexorablement mener à l’irréparable. Dans ce huis clos étouffant, filmé en quasi-temps réel pendant une quarantaine de minutes qui semble interminable, la tension est à son paroxysme. La gestion du temps et de l’espace au profit d’une montée de l’intensité aussi brute est une véritable leçon de cinéma, rendue d’autant plus prenante que les interprétations des acteurs sont irréprochables. La maîtrise de Bigelow lui a également permis de savoir ne pas poursuivre inutilement sa reconstitution longtemps au-delà du point de rupture vers lequel il se devait de nous mener. Elle a préféré alimenter sa troisième partie consacrée aux conséquences du drame, ce sur quoi de nombreux cinéastes auraient fait l’impasse.
Cette dernière demi-heure parait cependant trop courte pour approfondir l’enquête interne de la police et le potentiel thriller juridique qui s’y dessinent. Après l’excellente expérience immersive qui l’a précédé, mais aussi les quelques longueurs de l’introduction, cette partie semble être le parent pauvre du long-métrage. On peut notamment regretter que le sort réservé à Dismukes qui, parce qu’il a refusé de prendre parti, s’est retrouvé dans la position de suspect, ne soit pas davantage développé tant il aurait fait de lui un symbole politique puissant. Bigelow oriente sa conclusion vers une tonalité plus mélodramatique, mais tout aussi évocatrice, puisqu’il s’agit de la façon dont Larry effectue, après son traumatisme, un repli communautariste. Ce constat en dit long sur le bilan qu’elle dresse de son pays où les explosions de violence raciste ne font que creuser chaque fois un peu plus la fracture sociale. Une conclusion fataliste, à l’issue d’un film éprouvant, qui le rend indispensable pour saisir la gravité de ce statu-quo sociétal toujours aussi explosif un demi-siècle plus tard.
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