Le 2 février 2024
Derrière cette apparente comédie où l’on rit franchement, Faouzi Bensaïdi déroule une satire cruelle contre l’univers financier capitalistique au Maroc, et particulièrement la gente masculine qui persiste à maintenir l’Empire chérifien dans le conservatisme.
- Réalisateur : Faouzi Bensaïdi
- Acteurs : Fehd Benchemsi, Abdelhadi Talbi, Rabii Benjhaile
- Genre : Comédie dramatique, Road movie
- Nationalité : Français, Danois, Belge, Marocain
- Distributeur : Dulac Distribution
- Editeur vidéo : Outplay
- Durée : 2h04mn
- Date de sortie : 20 septembre 2023
- Festival : Festival de Cannes 2023
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– Sortie DVD : 20 février 2024
– Festival de Cannes 2023 : Quinzaine des Cinéastes
Résumé : Amis de longue date, Mehdi et Hamid, travaillent pour une agence de recouvrement. Ils sillonnent les villages du grand Sud marocain dans leur vieille voiture et se partagent des chambres doubles dans des hôtels miteux. Ils ont exactement la même taille, les mêmes costumes-cravates, les mêmes chaussures. Payés une misère, ils essaient de jouer aux durs pour faire du chiffre. Un jour, dans une station-service plantée au milieu du désert, une moto se gare devant eux. Un homme est menotté au porte-bagage, menaçant. C’est l’Évadé. Leur rencontre marque le début d’un périple imprévu et mystique…
Critique : On serait presque arrivé dans un conte de Voltaire avec ce film. En effet, à la manière du célèbre philosophe des Lumières, le récit suit la traversée de deux personnages, Mehdi et Hamid, à travers le désert, autour desquels s’enroulent d’autres histoires révélatrices du Maghreb rural d’aujourd’hui. Ils travaillent tous les deux pour un organisme de crédit, et doivent récupérer coûte que coûte les créances qu’un certain nombre d’habitants pauvres ne remboursent plus, faute de moyens. Toutes les méthodes sont bonnes, et même les plus cruelles quand il s’agit de retirer le seul tapis que possède une famille, ou enlever la camionnette d’un homme que sa femme a mis à la porte. Et pourtant ces deux gars sont bons. Ils trimbalent aussi leurs problèmes, et surtout leur douce mélancolie qui habite ce film.
- © Barney Production, Dulac Distribution / Outplay. Tous droits réservés.
Il y a donc plusieurs récits dans cette fiction. La principal demeure évidemment le road movie de ces deux compères à travers un désert rocailleux et impressionnant. Ils vont à la rencontre de mille et un personnages, permettant au passage de révéler le Maroc officiel où par exemple l’alcool est interdit, et le Maroc souterrain où les hommes se soulent de bières et de vodka. Le film fait un formidable pied de nez aux représentations souvent très occidentalisées d’un pays sage, aux mœurs définies par un certain conservatisme, accueillant. Faouzi Bensaïdi ne parle pas ouvertement de féminisme. Le réalisateur parle de la condition des femmes en se moquant généreusement des hommes qui ne sont que mensonges, fragilités et paradoxes. Et il y a aussi le récit de ce soi-disant meurtrier, rencontré dans une station essence, que les deux amis doivent ramener en prison. En réalité, un drame romantique et moral s’ouvre à l’occasion de ce tueur.
- © Barney Production, Dulac Distribution / Outplay. Tous droits réservés.
Déserts est un film caustique et rythmé. On reconnaît dans la mise en scène la culture théâtrale du réalisateur. Le cinéaste fabrique des scènes potaches, aux dialogues souvent succulents. Tout est fait pour que le spectateur rit le plus possible, tout en se posant des questions sur l’état d’un pays, le Maroc, où la situation économique contraint une grande partie de la population des campagnes à s’endetter et se soumettre à la tyrannie des organismes de crédit. On dit que le Maroc fait partie de la liste des grands pays émergents. Pour autant, la pauvreté continue de frapper la majorité du peuple qui vit, pour une part, dans des maisons sans toit ou se retrouve dépouillé par les créanciers.
Voilà donc une farce cruelle et sensible, inventive et féconde, qui fera réfléchir le spectateur occidental sur sa propre condition économique.
Laurent Cambon
Le test DVD :
L’image
Le DVD est fidèle au travail du chef opétateur Florian Berutti, dont on admire les plans fixes de la première partie et l’approche architecturale et contemplative de la seconde, aux accents à la fois lynchiens et fordiens.
Le son
2.0 et 5.1 Le DVD est proposé en version arabe avec sous-titres français. Aucune scorie n’a été constatée dans le support que nous avons reçu.
Les suppléments
Entretien avec le cinéaste Faouzi Bensaïdi à la Quinzaine des Cinéastes (17mn)
L’on conseillera le visionnage de l’unique bonus après celle du film, pour se laisser d’abord bercer par l’univers mystérieux du long métrage. Le réalisateur est interviewé à l’occasion de la présentation de Déserts à la Quinzaine des Cinéastes, section qui l’avait révélé en 2000 avec son court-métrage Tresses. Le spectateur qui aurait pu déceler les influences de Tati, Suleiman voire Lynch constatera qu’ils ne sont pas cités par le cinéaste, qui préfère évoquer le burlesque américain (Chaplin, Keaton...) découvert dans son enfance, mais aussi le western classique (les scènes où les protagonistes se révèlent autour du feu). En fait, Faouzi Bensaïdi, qui a tourné Déserts notamment dans les alentours de Ouarzazate et Marrakech, a souhaité poursuivre (de l’intérieur) l’exploration du Maroc menée naguère par des cinéastes étrangers, comme Welles, Hitchcock et Scorsese, en utilisant au mieux le cadre tragique conféré par le décor naturel. Le mélange des genres et des collaborations est en outre assumé par le réalisateur, qui mêle film social et recherche plastique et narrative, comédie décalée et noirceur, acteurs expérimentés et non-professionnels. Faouzi Bensaïdi au cours de cet entretien se montre à la fois strict sur ses principes et ouvert d’esprit, assumant le caractère marocain du film tout en revendiquant les influences internationales, rappelant que le Coran recommande « d’éviter l’alcool » mais sans l’interdire explicitement, ce qui est en lien avec les scènes de beuverie du film pouvant aussi se référer aux poèmes arabes sur l’ivresse... Au final dix-sept minutes instructives qui raviront les spectateurs ayant apprécié les audaces du film et éclaireront les récalcitrants ayant pu avoir l’impression de visionner un exercice de style répétitif et aux intentions obscures...
Gérard Crespo
Galerie Photos
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