Jeux pas drôles
Le 3 juillet 2020
Cette série plutôt nerveuse dans sa réalisation, et portée (entre autres) par le duo Éric Cantona-Alex Lutz, oscille entre chronique sociale et thriller, avec en toile de fond des méthodes de management qui, hélas, ne relèvent pas de la fiction. Un résultat de bonne facture et assez captivant.
- Réalisateur : Ziad Doueiri
- Acteurs : Éric Cantona, Gustave Kervern, Suzanne Clément, Alex Lutz
- Nationalité : Français
- Durée : 6 épisodes de 48 à 51 minutes
- VOD : NETFLIX
- Date télé : 25 novembre 2021 20:55
- Chaîne : Arte
- Reprise: 15 mai 2020
- Scénariste : Pierre Lemaitre
- Genre : Drame, Thriller
- Titre original : Dérapages
- Âge : Interdit aux moins de 13 ans
- Date de sortie : 23 avril 2020
- Plus d'informations : Dérapages
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Résumé : Alain Delambre, au chômage à 57 ans, est attiré par une petite annonce prometteuse. Mais il déchante en découvrant qu’il n’est qu’un pion dans un cruel jeu d’entreprise.
Critique : L’ouverture du premier épisode nous fait immédiatement comprendre qu’on s’embarque dans une sale affaire. Passé un discret carton « inspiré de faits réels », ouverture sur un Éric Cantona en marcel noir et look caïd, crâne rasé, barbe-rouflaquettes, tatouage sur l’épaule, face caméra en plan serré. Avec son accent de Martigues, il débute son récit : « j’ai jamais été un homme violent, j’ai jamais voulu tuer personne, des coups de colère par-ci, par-là, comme tout le monde… mais à ce point-là ? Quand j’ai compris à quel point j’étais en colère, j’ai pris peur. Mais c’était trop tard. Je m’appelle Alain Delambre. J’étais ce qu’on appelle un senior. Sur le marché du travail, un senior, c’est le dernier type qu’on embauche quand il y a du boulot, et le premier qu’on vire quand il y a une charrette. Ma charrette à moi remontait déjà à six ans ». Fondu enchaîné, sur ce Delambre, employé de nuit au nettoyage d’un parking sous-terrain.
Alexandre Dorfmann (Alex Lutz) est le PDG d’Exxya, géant français de l’aéronautique civile et militaire, pris dans des turbulences, après avoir loupé un gros marché. Ça tangue sur le cours de la bourse, chez les actionnaires et dans les hautes sphères du pouvoir. Étant sur un siège éjectable, il décide d’accélérer un sévère dégraissage d’un site de production à Beauvais. Pour cela, il doit nommer deux managers sans état d’âme : le futur boss du site choisi dans sa garde rapprochée, et un DRH, par recrutement externe, afin d’encaisser grèves, occupations d’usine, voire pire. Son cabinet de consulting lui suggère un jeu de rôle avec prise d’otages : un faux commando débarquera dans une salle de réunion où se trouveront les cadres auxquels il pense confier la direction du site. La salle de réunion sera truffée de caméras et micros. Dans une autre salle, les candidats au poste de DRH suivront la situation et donneront des consignes aux membres du commando équipés d’oreillettes. Et là, vous vous dites que le scénariste a un peu fumé ? Après tout, des agences vendent bien à des groupes qui les achètent, ces méthodes de « team building » à coups de stages de survie en forêt et autres sauts à l’élastique.
- Copyright Stephanie Branchu
Revenons sur le discret carton « inspiré de faits réels ». L’affaire a été un peu étouffée à l’époque, et pour cause. En 2005, le patron de la régie pub de France Télévisions organise une « prise d’otages fictive » de ses cadres dirigeants lors d’un séminaire, pour tester la cohésion de l’équipe et sa résistance au stress. Bien entendu, personne n’est au courant de ce « jeu ». Le patron a fait appel à une société spécialisée et des anciens du GIGN. Plusieurs cadres traumatisés seront discrètement débarqués de l’entreprise. Finalement, l’un d’eux portera plainte, et le patron sera condamné en 2010 pour « complicité de violences volontaires aggravées, avec préméditation et usage ou menace d’une arme et séquestration ». Mais cela ne l’empêchera pas de rester en poste jusqu’en 2012… De cette affaire, Pierre Lemaitre en tire un roman, Cadres noirs (Calmann-Lévy, 2010), et Dérapages en est la libre adaptation.
Et que faisait Alain Delambre, avant de sombrer dans la précarité des seniors en fin de droit condamnés à accepter des petits boulots ? DRH. Inutile de vous faire un dessin ? En fait, oui et non. Et c’est là où cette série est assez vicieuse. Si le CV de Delambre se retrouve vite dans la sélection finale pour le poste de DRH (on ne spoile pas vraiment, c’est rapidement amené dans le premier épisode), l’arc narratif, avec en fil rouge Cantona d’ouverture face caméra, ou en voix off, pour distiller des éléments de suspense, est honnêtement bien ficelé. L’embrouille de cette prise d’otages, avant, pendant et après, comporte de nombreuses zones d’ombre et des ambiguïtés que révèlent les épisodes, organisés en actes, comme une pièce de théâtre. Ou plutôt une comédie sociale sur les drames collatéraux liés au chômage interminable : ruine, famille qui se déchire, désocialisation, dépression, mensonges, etc. Et un enchaînement de situations, dont certaines dérapent. Dérapages, avec un s, donc.
- Copyright Stephanie Branchu
Souvent filmé en plan-séquence par Ziad Doueiri (ex-cadreur de Tarantino et réalisateur de Baron noir), en particulier dans l’appartement de Delambre, entre capharnaüm et moisissures - des travaux de rénovation démarrés avant son licenciement sont inachevés -, le casting, assez chamarré, livre des interprétations variées. Sobriété et pudeur pour Gustave Kervern, vieil ami de Delambre, informaticien au chômage vivant dans un camping, car lui aussi a tout perdu ; colères froides ou explosives pour Cantona et enfin cynisme glacial pour Lutz qui confirme un talent indiscutable.
Si Dérapages, souffre de quelques maladresses, comme des ellipses trop rapides, ou des situations a priori invraisemblables (bien que chez France Télévisions ça n’ait pas été, hélas, de la fiction), ses six épisodes, avec un ton alternant entre dénonciation et dérision, nous maintiennent suffisamment en haleine et se concluent sur un final fermé ou ouvert : libre à chacun d’en interpréter le sens.
Produite par Arte France et Mandarin Télévision, Dérapages est maintenant disponible sur Netflix qui en a acheté les droits pour une diffusion internationale sous le titre Inhuman Resources. La plateforme a probablement misé sur Cantona assez connu dans le monde anglo-saxon, entre sa carrière dans le championnat anglais, son passage au New York Cosmos, sa promotion du beach soccer, sans oublier ses frasques. Mais si la série remporte du succès et qu’une suite est envisagée, il faudra composer avec les tensions entre Pierre Lemaitre (scénariste) et Ziad Doueiri, révélées par ce dernier dans un entretien à Première, rendant a priori, l’écriture d’une suite impossible à ce jour. À moins que Netflix entre dans la danse de la production, avec des arguments financiers persuasifs.
- Copyright Netflix
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