Le 16 mai 2018
Dernier film de Marin Karmitz, ce tract violent et sans concessions a gardé toute sa puissance.
- Réalisateur : Marin Karmitz
- Acteurs : Elodie Avenel, Danielle Chinsky
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Allemand
- Editeur vidéo : Potemkine
- Durée : 1h29mn
- Date de sortie : 25 février 1972
- Festival : Festival de Cannes 2018
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– Ce film fait partie du coffret Mai 68, paru le 9 mai chez Potemkine
– Cannes Classics 2018
Résumé : Pour protester contre les brimades et cadences de travail, les ouvrières d’une usine de confection déclenchent une grève sauvage qui déborde bientôt les syndicats.
Notre avis : Reprenant les codes du documentaire et travaillant avec des non-professionnelles. Marin Karmitz réalise un brûlot au plus près du terrain, mais solidement construit en une progression dramatique maîtrisée. Le début en est très fort : ouvrières surveillées continuellement, plans sur des chronomètres et pendules, remarques des petits chefs : en quelques minutes tout est dit, même si une voix off dénonciatrice ajoute le verbe aux images. Et puis, une petite révolte, presque une pochade, lance ces travailleuses dans un engrenage qui conduit à l’occupation de l’usine.
Karmitz n’y va pas avec le dos de la cuillère : le patron est hautain, la complicité avec le pouvoir explicite (savoureux moment où on lui recommande de négocier « pour le moment »), les « fachos » violents. Face à cette exploitation, les ouvrières tiennent, contrairement à ce que pensaient les hommes, qui réapprennent petit à petit à accepter leur révolte, et personne ne trouve grâce à leurs yeux : là aussi, la férocité du cinéaste s’exerce à plein contre les syndicalistes au discours vindicatifs stéréotypés (Karmitz avait repris des discours de la CGT) mais prompts à accepter les propositions patronales.
Il enchaîne ensuite sur la plus longue partie du film, l’occupation de l’usine, avec séquestration du patron : entre ironie, fureur et tendresse, les portraits de ces femmes, très justes, s’accompagnent d’une réflexion, notamment par des conversations et la lecture d’un journal intime ; elles s’y découvrent libres, humaines, apprennent à se connaître. De ces dialogues très naturels, à la langue verte, le scénario tire le meilleur parti ; ils expriment à la fois le désir de justice et de vengeance, et la sensibilité – voir la belle scène où une dame âgée chante Du gris avant de raconter 1936. Ainsi se constitue la chaîne historique des révoltes mais, ironiquement, seul le patron, dans une interview télévisée, abordera mai 68.
Le film peut presque se résumer à sa volonté politique, tant son appel a la force brute d’un tract puissant. Mais il pose au fond la question du pouvoir du cinéma et de son utilité ; Karmitz raconte d’ailleurs dans les bonus ce que le film a déclenché un peu partout dans le monde – et qui est annoncé à la fin dans une adresse virulente au patron, la fameuse « tache d’huile ». Une œuvre peut-elle changer les choses ? N’est-elle au mieux qu’une prise de conscience ? La réponse actuelle est connue, ce genre de films ayant quasiment disparu. Il reste donc un témoignage, précieux, sur une époque où les gens ont cru sincèrement à l’engagement et au cinéma. Époque où rendre « coup pour coup » a pu être envisagé et le métrage se termine même par la possibilité future de la violence. Alors oui, peut-être que ce semi-documentaire semblera aujourd’hui naïf, mais indiscutablement il frappe juste, et peut faire rêver avec nostalgie.
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