Le 12 janvier 2022
En ravivant le souvenir de la prise d’otage terroriste dans un théâtre moscovite en 2002, Ivan I. Tverdovsky réalise une œuvre somptueuse et fascinante.
- Réalisateur : Ivan I. Tverdovsky
- Acteurs : Filipp Avdeev, Natalya Pavlenkova, Anna Slyu, Natalya Potapova, Kseniya Zueva
- Genre : Drame historique
- Nationalité : Britannique, Italien, Russe, Estonien
- Distributeur : Destiny Films
- Durée : 2h10mn
- Titre original : Konferentsiya
- Date de sortie : 12 janvier 2022
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– Année de production : 2020
Résumé : Dix-sept ans après la prise d’otages du théâtre Dubrovka, l’une des tragédies majeures du XXIe siècle dans l’histoire de la Russie, Natalia, revient à Moscou pour organiser une soirée commémorative pour les familles des victimes de l’attentat d’octobre 2002. Pourquoi s’est-elle retirée dans un monastère depuis si longtemps ? Pourquoi sa fille la rejette-t-elle ? Quel est le but de sa démarche ?
Critique : Le film s’ouvre sur une séquence d’un théâtre vu de haut, où une femme de ménage s’évertue à aspirer les restes de spectateurs. La scène est longue, obsessionnelle presque, posant d’emblée le cadre d’une œuvre profonde et envoutante. Car tout le reste du film sera du même acabit : une caméra fixe posée sur la scène d’un théâtre où des personnes racontent le souvenir de la tragédie du théâtre Doubrovka dans un flux d’émotions puissant. Toute cette mise en scène d’un évènement absolument traumatisant dans l’histoire moderne de la Russie passe par le filtre d’une dame âgée, coiffée d’un voile noir qui cache toutes les aspérités de son corps. Le visage creusé de yeux bleus cinglants, semble dévasté de l’intérieur. On se souvient que la prise d’otage avait été orchestrée par des terroristes tchétchènes, et la robe sombre qui couvre Natalia laisse planer le doute sur le fait qu’elle soit de confession musulmane, alors qu’elle clame ouvertement avoir la bénédiction d’un homme d’Église pour organiser cet hommage funèbre.
- Copyright Destiny Films
En réalité, Natalia est religieuse. Elle sort d’années d’enfermement dans un monastère. Elle retrouve sa fille qui la rejette violemment et son mari qui pousse des cris depuis son lit de malade. L’ambiance est lourde, étouffée de non-dits qui cachent une réalité monstrueuse dans le parcours de vie de la vieille dame. Il faut saluer le dépouillement total de la mise en scène. Le montage lui-même va à l’essentiel, privilégiant des séquences longues, avec des plans larges magnifiques qui donnent aux comédiens le temps de déployer des dialogues d’une grande force. Le temps s’allonge au fil de la narration. Le spectateur s’insère dans cette temporalité austère comme s’il était lui-même le témoin de l’histoire d’un pays encore ébranlé par les mensonges de l’État, et le traumatisme inconsolable des familles qui ont perdu leurs proches. Le tragique du film est à l’inverse exact de la comédie à laquelle nombre d’enfants et de parents assistaient, avant de se retrouver pris en otage et assassinés par les guerriers tchétchènes.
- Copyright Destiny Films
Le drame se joue dans deux espaces parallèles. D’abord, il y a ce théâtre dont le directeur accepte que la commémoration ait lieu sous l’étiquette administrative de "conférence". Il y a aussi le domicile familial où la fille et la mère s’opposent dans un combat à armes inégales. Même Natalia accepte de se faire gifler par sa fille, sans rechigner. On perçoit divers personnages dans Natalia : une religieuse déterminée à faire parler les gens sur le traumatisme subi, et une mère de famille, frêle et fragile, qui renonce à sa place dans la maison. Parfois, le petit-fils lui offre l’occasion de renouer avec son existence de grand-mère dans des scènes absolument magiques, qui semblent des parenthèses dans cette atmosphère terrible et suffocante. La musique est rare, et quand elle survient, elle semble comme un personnage supplémentaire, offrant au récit une portée profondément spirituelle. Le film pose la question de la rédemption, du post-traumatisme dans un pays gouverné par la force et le non-dit, et d’une guerre avec les communautés musulmanes de Tchétchénie, qui n’a toujours pas dit son dernier mot. En atteste en France le crime odieux de Samuel Paty par un ressortissant du même pays.
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Il faut aller voir Conférence pour ce qu’il est, c’est-à-dire un drame terrible d’un souvenir historique, pris dans les vertiges d’une famille décomposée. On ne rit à aucun moment. Il faut se laisser aller à la lenteur des scènes, qui participe totalement à la brutalité dont toutes ces familles ont été victimes en 2002. Il faut accepter le parti pris d’une mise en scène abrupte. Dans tous les cas, il ne faut pas passer à côté de ce chef-d’œuvre du cinéma russe.
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