Le cercle du poète disparu
Le 1er février 2014
Jancso, poète hongrois, qui impressionna la pellicule de ses mouvements amoureux.
- Réalisateur : Miklos Jancso
- Acteurs : Bela Barsi, László Csurka, Lajos Balázsovits, András Bálint, József Madaras, Tibor Molnár
- Genre : Drame
- Nationalité : Hongrois
- Editeur vidéo : Clavis Films
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– Mon chemin, 1h30mn, 1965
– Les Sans-Espoir, 1h25mn, 1965
– Rouges et blancs, 1h27mn, 1967
– Silence et cri, 1h28mn, 1968
– Psaume rouge, 1h27mn, 1971
Miklos Jancso, cinéaste adulé dans les années 70, s’est retrouvé frappé par la dure loi de l’amnésie. Aujourd’hui, il faut absolument re(découvrir) ses poèmes politiques où le simple mouvement de caméra apaise nos sens pour l’éternité.
L’argument :
Hongrie, 1944. Joseph erre dans les plaines hongroises à la recherche du calme perdu. Entre anarchistes hongrois, soldats soviétiques et occupants nazis, Joseph ne sait pas sur quel pied danser (Mon chemin).
Hongrie, 1869. Un commandant autrichien décide de décimer la résistance hongroise appelée les Sans-Espoir(Les Sans-Espoir).
Hongrie, 1917. Combat entre les Hongrois partisans de la Russie tsariste et ceux luttant pour le communisme (Rouges et blancs.
Un déserteur trouve refuge dans une ferme tenue par deux sœurs qui tombent amoureuses de lui (Silence et cri.
Révoltes paysannes dans la Hongrie de la fin du XIXe siècle (Psaume rouge).
Notre avis : Il y a d’abord un pays, la Hongrie. Un immense bassin, occupé par de nombreuses plaines et collines, déchiré par un fleuve au doux nom musical, le Danube. Ensuite, une Histoire. Depuis la nuit des temps, ce pays éloigné de l’Europe de l’Ouest a subi des invasions venues de tous les coins du monde (tribus nomades, empire Ottoman, empire autrichien des Habsbourg, Roumains, Soviétiques...). Enfin, des hommes tiraillés entre le désir de vivre pleinement leur vie et la honte de se rabaisser pour ramasser les déchets d’un pouvoir totalitaire.
Pour comprendre l’œuvre de Miklos Jancso, il faut savoir qu’il a toujours interrogé le passé de ses origines, de sa terre natale, de sa capacité à subir ce genre d’outrages. Après des études d’ethnographie, ce rebelle magyar décide d’entrer dans la maison cinéma par le biais de l’école supérieur du cinéma de Budapest. Un peu de théorie (l’étude du réalisme soviétique chez Poudovkine ou bien Eisenstein), pas mal de pratique (des centaines de courts métrages) vont dessiner chez Jancso une envie de voler de ses propres ailes. Aidé par un canevas malheureusement présent (la prise de pouvoir soviétique depuis 1945), Jancso décide de combattre la dictature en la filmant. Entre 1965 et 1972, assisté de son scénariste attitré, Gyula Hernadi, il réalise quelques œuvres qui seront la représentation d’une Hongrie malade.
Sentiments humains quasi inexistants, totalitarisme exacerbé et prise de conscience révolutionnaire, tels sont les fils conducteurs travaillés par le cinéaste. Sa marque de fabrique, le plan-séquence. Jancso refuse le montage nerveux et prend donc son temps par le biais de ce procédé poétique, car selon lui le spectateur doit penser à mille choses en voyant ses films. Une forme de liberté qu’il appliquera dans la quasi-totalité de ses œuvres.
Dans Mon chemin, l’un de ses premiers films, Jancso filme avec beaucoup de cruauté les pérégrinations de Joseph, jeune lycéen lunatique dans une Hongrie dévastée par la Seconde Guerre mondiale et fuyant ses propres responsabilités. Attaque virulente contre ce va nu-pied qui préfère admirer une église détruite que se battre fièrement pour une idéologie révolutionnaire. La même année, avec Les Sans-Espoir, Jancso fait un saut d’un siècle en arrière pour revenir sur une des bases de son cinéma : le pouvoir. Œuvre sanguinaire, Les Sans-Espoir détruit les sens de l’être humain et verrouille toute issue positive. Ce massacre minutieusement préparé par l’occupant autrichien est une véritable parabole sur l’administration soviétique qui dirigeait en 1967 l’état de Hongrie.
Psaume rouge et Rouges et blancs sont deux films ultra politisés. Deux œuvres marxistes où Jancso déambule maladroitement dans un couloir parsemé d’affiches rouges, de cadavres bourgeois et de luttes sans espoir. Les fameuses chorégraphies de Jancso perdent de leur valeur émotionnelle car elles sont enfermées dans un discours pompeux. Lorsque Jancso filme une paysanne agonisante dans Psaume rouge, il choisit de filmer son sang se transformer en un bouquet de fleur. Cet acte de l’ordre du kitsch dénature totalement le message de tolérance voulu par l’auteur et offre une forme de combat post-seventies complètement daté.
Le plus étrange de ces cinq films et le plus beau par la même occasion est Silence et cri. Trio amoureux filmé dans une atmosphère antonionienne (étude de l’incommunicabilité) avec des dialogues bergmaniens (réduits aux maximums), Jancso promène avec nonchalance sa caméra rouge sang sur des âmes égarées. De longs plans-séquences enchaînent les figures d’une danse macabre avec l’histoire de ces petites gens endormis depuis de trop longues années d’asservissement. Œuvre incomprise à sa sortie, il faut revoir d’urgence cette longue balade sauvage où deux sœurs s’amourachent avec violence d’un résistant de la première heure.
L’art de Jancso est d’avoir su élever le cinéma au même rang que la poésie, d’avoir fait vibrer nos sens de ce je-ne-sais-quoi qui nous rend amoureux. Epris d’une femme, d’une liberté, les deux pourquoi pas ! Et ce n’est déjà pas si mal !
Le DVD
Le(s) supplément(s) à ne pas rater : L’unique bonus de ce coffret est un vidéo-film de cinquante-quatre minutes, Le silence des pierres, qui à l’origine faisait partie d’une série pour la télévision hongroise. Un supplément court mais enrichissant car il confirme que cet octagénaire déborde sans cesse de projets. Film mineur qui balade sa thématique de la nostalgie entre les cris et les joies d’un groupe d’enfants, la convivialité d’un repas donné dans une synagogue de Budapest et le lent déchirement d’une mélodie jouée par un flûtiste excentrique. Une curiosité légère !
Image & son : Hormis quelques points blancs au début de chaque film, la compression est honnête, le master est de qualité ainsi que le format sagement respecté. Le problème provient essentiellement d’une bande sonore désastreuse. Certes, Jancso synchronisait ses œuvres, mais il est regrettable de devoir augmenter continuellement le volume de son ampli pour pouvoir saisir les dialogues.
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