En trente ans et quinze films, une carrière d’une grande cohérence.
Comment devient-on cinéaste ? En étant fou de cinéma, c’est classique. Haut comme trois pommes, Claude Miller accompagne papa-maman tous les samedis au cinéma du quartier. Le virus est pris. Il avoue que jamais il n’a imaginé faire un autre métier. Service cinématographique des armées, Idhec (ancien nom de la Femis, dont il sort major en 1965) : une brillante carrière d’assistant s’ouvre à lui en pleine Nouvelle Vague. Carné, Bresson, Demy, Godard, rien que ça pour faire ses classes. Et la rencontre miraculeuse du réalisateur avec lequel il sera en parfaite adéquation, François Truffaut. Ils tourneront ensemble sans discontinuer de 1968 et Baisers volés à 1975 et L’histoire d’Adèle H.
Fortement marqué par Truffaut alors ? Le cinéaste en convient. Comment pourrait-il en être autrement lorsque l’admiration le dispute à la fraternité de pensées et d’inspiration. Qu’il s’agisse de décrire les enfances meurtries ou les existences sur le fil du rasoir, Claude Miller s’attache comme son mentor aux hasards de la vie et à leurs répercussions sur la psychologie de ses personnages. Mais pourtant, dès son premier long métrage, il sait trouver un ton qui n’a rien du plagiat. C’est en 1975 et c’est La meilleure façon de marcher où il aborde le thème de la sexualité, récurrent depuis dans ses films. Homosexualité, domination et humiliation : La meilleure façon de marcher dépeint les rapports ambigus qui unissent deux animateurs de colo (Patrick Dewaere et Patrick Bouchitey), et plaide a contrario pour la tolérance. Il saura surtout prouver deux choses essentielles : que Miller est un grand directeur d’acteurs et qu’il sait traiter avec subtilité les sujets "délicats".
Vingt-huit ans et onze films plus tard - au contraire de Truffaut, Miller n’est pas un réalisateur prolifique - sa filmographie forme un ensemble varié mais d’une grande cohérence, abordant avec pudeur souvent, violence parfois, les petites ou grandes tragédies intimes qui font déraper l’existence : obsession amoureuse dans Dites-lui que je l’aime (1977) ; drame de la solitude dans Garde à vue, son premier grand succès quadruplement césarisé ; amour étrange et lyrique dans Mortelle randonnée (1982) ; cauchemars et affabulation d’un enfant camouflant une réalité encore plus terrible dans La classe de neige (1998). Depardieu, Miou-Miou, Ventura, Serrault, Adjani, de grands comédiens ont interprété avec brio les personnages du monde de Miller, mais le cinéaste n’aura jamais été aussi incisif et percutant dans sa direction d’acteur qu’en dépeignant les très jeunes femmes, qu’il s’agisse de Romane Bohringer dans L’accompagnatrice (1992), et surtout de Charlotte Gainsbourg qui crève littéralement l’écran dans L’effrontée (1985) puis dans La petite voleuse (1988).
Aimé du public, lauréat de nombreux prix mais resté cependant d’une grande modestie, Miller participe dans l’ombre à de nombreuses instances de défense du septième art. A soixante ans passés, il poursuit son chemin en rêvant tout haut de réaliser une comédie. Demain peut-être, si d’aventure la légèreté venait l’inspirer après La petite Lili. Mais qu’il ne s’inquiète pas de ne pas savoir nous faire rire, puisqu’il sait nous surprendre et nous émouvoir. Ce qui est, convenons-en, l’une des meilleures façons de faire du cinéma. En 2009, il nous revient en pleine forme avec un excellent documentaire et un métrage co-réalisé avec son fils.
Filmographie
– La meilleure façon de marcher (1975]
– Dites-lui que je l’aime (1977)
– Garde à vue (1981)
– Mortelle randonnée (1982)
– L’effrontée (1985)
– La petite voleuse (1988)
– L’accompagnatrice (1992)
– Le sourire (1994)
– La classe de neige (1998)
– La chambre des magiciennes (1999)
– Betty Fisher et autres histoires (2001)
– La petite Lili (2003)
– Un secret (2007)
– Marching band (2009)
– Je suis heureux que ma mère soit vivante (co-réalisé avec Nathan Miller, 2009)