Le 10 septembre 2003
La création, l’art et ses dérives dans une terrible et fascinante histoire. Un choc littéraire.
En 2002, La caverne des idées paraissait en France, mettant sur le devant de la scène un nom alors inconnu et un polar platonicien échappant à tous les genres. José Carlos Somoza nous revient avec un véritable choc littéraire, une écriture limpide aux mille niveaux d’interprétation, une histoire terrible et fascinante, et toujours, cette interrogation sur la création, l’art et ses dérives.
Au début, il y a le miroir. Celui qui renvoie l’apparence ou laisse affleurer l’inconnu, obéit ou trahit. Celui qu’Alice franchit, délaissant le reflet pour son revers, un monde où rien n’est tout à fait comme on croit. De l’autre côté du miroir, puisque Alice veille, en exergue aux quatre parties du roman, de l’autre côté du miroir, l’art n’est plus impressionniste ou réaliste, il est hyperdramatique. Van Tysch en est le grand prêtre et le théoricien. Contrefaçons et détournements sont monnaie courante, dans le monde des marchands d’art où ces œuvres atteignent des valeurs défiant l’imagination. Le détail... les toiles sont humaines. Les œuvres sont peintes sur des corps apprêtés et enduits, livrés aux pinceaux et aux caprices de l’artiste. L’art a sa logique propre qui justifie ses dérives. C’est l’irruption du monde extérieur, qui fait exploser cette logique. Car les toiles sont détruites. Quelqu’un s’attaque à des originaux inestimables, les pièces maîtresses des expositions Van Tysch. Ou serait-ce un assassin, qui massacrerait des êtres vivants ? Quel est le prix de la vie face au marché de l’art ? Que reste-t-il d’humain dans une toile, quand l’enjeu est l’immortalité de l’œuvre ?
L’enquête policière dévoile peu à peu ce monde où les repères et la morale sont d’un autre ordre, lorsque certains humains vivent une vie d’objets. Si l’art est le reflet de l’âme, il est aussi la réponse au désir du public. Corps torturés, manipulés, contraints, magnifiés, sublimes. Corps de l’horreur aussi, dans ces "monstres" qui ne fascinent que par leur ambiguïté. Car tout est dans la pénombre, cet état de confusion que Clara semble incapable d’atteindre, à trop vouloir irradier sa clarté, Clara si claire qu’elle refuse la liberté à l’obscur qui est au fond d’elle-même. "La seule vérité est la pénombre", affirme Van Tysch qui ne conçoit que cette perte du réel où seule importe la perception, où la vérité est celle qui émerge dans la douleur, arrachée à cette pénombre.
Jose Carlos Somoza évoque, dans une de ses chroniques, un conte de Borges, Le miroir et le masque. Ecrire, ce serait aller et venir entre le miroir qui reflète et le masque qui dissimule. Un miroir qui offrirait au lecteur son propre reflet derrière celui de l’auteur, un masque qui dissimulerait chacun à soi-même. Clara et la pénombre n’est rien d’autre que ce jeu de dupes, le reflet terrifiant de soi-même dont l’art fait son essence.
José Carlos Somoza, Clara et la pénombre, (Clara y la penumbra, traduit de l’espagnol par Marianne Millon), Actes Sud, 2003, 550 pages, 23 €
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