Citéville - Jérôme Dubois - chronique BD

Jérôme Dubois, auteur remarqué de Jimjilbang ou Tes yeux ont vu (tous deux sortis chez Cornélius), a réalisé ces nouvelles dessinées durant cinq ans, concevant les différents plans de cette ville avec patience et méthode. La brutalité de chaque chapitre, de chaque lieu décrit, met en scène des relations humaines cruelles, dont la moralité dévie considérablement de celle que nous nous imposons aujourd’hui, mais qui tend à se déliter progressivement. Le pessimisme qui transpire de ces planches pointe une forme de désespoir face à la dégénérescence du monde contemporain dont les multiples travers confinent à une dissolution progressive, mais non violente, de toute éthique. Dubois décrit ainsi avec beaucoup d’humour et de cynisme un monde dystopique, désolant, extrême, brutal et foncièrement dérangeant, qui ne cesse de pointer les travers avec lesquels nous vivons et auxquels, d’une certaine manière, nous participons.

Jérôme Dubois - Cornélius

Les dessins de Jérôme Dubois sont, comme dans ses précédents livres, très beaux et élégants. L’auteur utilise une ligne solide, précise mais sensible, et alterne les masses noires (devenu bleues), les zones grisées, composées d’une trame calme tracée à la règle, et les surfaces blanches, éclatantes. Avec cette technique, certains espaces se confondent, s’avalent mutuellement et quelques formes sont plutôt esquissées que précisément délimitées. Divers plans glissent subrepticement vers l’abstraction, zooms exagérés ou espaces décadrés, tandis que des motifs géométriques courent le long de certaines cases et décors sans véritable justification autre que leur attraction esthétique.

Les jeux graphiques animent ainsi la représentation et donnent de l’esprit dans l’image à travers cette manière qu’elle a de constamment s’interroger elle-même. L’auteur recherche sans cesse des solutions visuelles, et dote chaque case d’une vitalité propre. Il aborde chaque image comme un nouveau défi, comme une quête perpétuellement reconduite d’un équilibre visuel. Ainsi, la séduction de l’univers graphique de Jérôme Dubois s’accorde à l’acidité des histoires qu’il dessine et à l’humour corrosif qu’il déploie.

Jérôme Dubois - Cornélius

La noirceur présente dans cet opus trouve un écho singulier, une lecture seconde qui approfondit la première, dans un ouvrage du même auteur, sorti au même moment aux éditions Matière, Citéruine, dont nous parlons ici, si vous osez lorgner de l’autre côté du miroir.