Le 13 septembre 2020
A travers ce très beau premier roman, Hardien Bels raconte l’histoire de Stress, un jeune trentenaire désabusé, qui a grandi dans un quartier marseillais et refuse sa gentrification.
- Auteur : Hadrien Bels
- Editeur : L’Iconoclaste
- Genre : Roman
- Nationalité : Française
- Date de sortie : 19 août 2020
Résumé : Stress et ses potes Nordine, Ichem, Kassim Djamel et Ange se sont connus au Panier, un quartier populaire de Marseille où ils ont fait les 400 coups. Des années après, Stress se remémore cette période non sans une certaine nostalgie.
Critique : Le Panier, c’est son enfance, là où il zonait avec ses amis Ichem, Nordine, Kassim et Ange, là où ils attendaient assis sur le banc que quelque chose se passe, alors qu’il ne se passait jamais rien.
Si Stress se souvient de cette époque avec nostalgie, c’est qu’ils se sont tous perdus de vue. Certes, ils se croisent parfois, mais les mots sont convenus, les paroles entendues, comme s’ils étaient devenus des inconnus. Pourtant, lui n’a qu’un rêve : les réunir une dernière fois pour son projet de long-métrage.
L’objectif de Stress est simple : agréger sa bande de copains et leur faire chanter leur histoire, leurs galères et surtout leur enfance, afin de réaliser une ode au Panier, ce vieux quartier qu’il voit changer sous ses yeux, qu’il ne reconnaît plus.
Le roman se compose selon des flashback, dans lesquels Stress se souvient de cette époque pleine d’insouciance et embarque avec lui le lecteur en boîte de nuit, à fumer clope sur clope et boire du whisky coca, en essayant de draguer les filles. Tout semblait simple. Le lecteur a l’impression d’appartenir à cette joyeuse bande. Mais, très vite, le présent revient avec violence et lui rappelle que ce temps-là est révolu. Loin de l’insouciance de la jeunesse, Stress enchaîne les petits boulots et la réalisation de vidéos de mariage, lui qui se rêvait réalisateur. Désabusé, il se rattache à son projet de long-métrage, comme pour se prouver qu’il n’a pas tout perdu.
Dans ce premier roman, Hadrien Bels raconte avec acuité ce que peut être la vie dans les quartiers, sans jamais tomber dans les clichés du genre. En effet, plus qu’un récit sur le quartier du Panier à Marseille, Cinq dans tes yeux est en réalité un très beau texte sur l’amitié et la fraternité, mais aussi une belle déclaration à la ville de Marseille, l’autre personnage important de l’histoire, en tant que décor du quotidien.
296 pages - 18 euros
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Kirzy 9 février 2021
Cinq dans tes yeux - Hadrien Bels - critique du livre
C’est l’histoire d’un quartier marseillais ultra populaire, là, juste derrière le Vieux-Port, le Panier avec ses logements insalubres et ses ruelles étroites, porte d’entrée de la population immigrée depuis la seconde moitié du XIXème siècle, italienne, corse, maghrébine, comorienne. C’est une histoire d’amitié née dans les années 90 et qui se délite à mesure de la gentrification du quartier, sa réhabilitation avec le projet Euroméditerranée en chassant les plus pauvres vers les périphéries et les quartiers Nord.
Il n’y a pas vraiment d’intrigue à proprement parler avec un scénario cause / conséquences tout tracé et des actions factuelles. Fait d’une succession de scènes, le récit est une déambulation sentimentale dans le Marseille des années 1990 et d’aujourd’hui vu au travers du regard du narrateur, Stress ,« figure rose » de la bande multiethnique, le seul Blanc atterri au Panier par le militantisme d’une mère puissante ( formidable personnage ). Sa narration alterne passé ( années 90 donc ) et présent où il végète à l’aube de la quarantaine, artiste un peu looser, un peu branlos aussi, tentant de retrouver le parfum de son adolescence aux côtés de Ichem, Kassim, Djamel et Ange.
On s’amuse beaucoup avec Hadrien Bels, mais jamais aux dépens de quelqu’un, sa plume est trempée à la tendresse humaine, jamais au cynisme facile, juste acide ce qu’il faut quand il le faut. Son écriture rafraichit, emplie d’une oralité vive qui explose dans des dialogues savoureux. Souvent hybride, inventive et insolente, la langue sonne vrai, sous influence méditerranéenne, mâtinée de rap et de raï, avec des punchlines réjouissantes qui donnent envie de lire le roman à voix haute.
Le récit avance avec le sourire, avec cependant un petit ventre creux vers le milieu et une sensation de répétitions un peu trop présente parfois. Mais dans le dernier tiers, les mots se font plus nostalgiques, l’auteur a grandi et le difficile passage à l’âge adulte fait ressortir une douce mélancolie.
« La ville s’est couchée, je roule sur son dos avec des odeurs de poulet braisé dans le nez. Boulevard national, des bars pleins de vieux à la cornée abimée qui boivent leur thé en trempant leur nez dedans. (…) de petites comoriennes jouent à la corde à sauter en pyjama et des mecs sortent des salons de coiffure en se croyant beaux. J’ai encore des sentiments pour cette ville. Tout est encore possible entre nous. de nouveau envie de la filmer et de l’écouter me raconter ces histoires de vies, qui, bout à bout, me transportent de l’autre côté de la Méditerranée, dans ces ruelles où l’o, vend des cigarettes et des brochettes de foie à l’unité. Où l’on jette par terre papiers, mégots, canettes de coca. Là où les mouettes, les chats et les rats viennent se battre. Une ville doit dégager nos odeurs de crasse et nos instincts animaux. Elle doit raconter nos vies et nos drives. Une ville trop propre ne me dit rien, elle me fait peur, à cacher ses névroses. »
Marseille est vraiment la star de ce roman, décrite avec beaucoup de coeur, sans le folklore habituel que la ville suscite. Derrière chaque scène, chaque tableau, c’est tout l’amour de l’auteur pour sa ville et son quartier qui explose de façon très charnelle, sensorielle et organique, de façon très personnelle aussi.
Mieux qu’un reportage, Cinq dans tes yeux décrypte et donne à voir le mécanisme de gentrification et l’arrivée des « Bobos », surnommés les Venants avec leurs gueules d’héritiers, qui effacent en silence, à coup de rénovations, tout un écosystème au centre des villes, écartant les classes populaire vers les périphéries. C’est rare de lire un roman aussi sensible et géographique à la fois, à la fois intime et inscrit dans un territoire collectif qui s’est métamorphosé vitesse grand V. Hadrien Bels n’écrit pas que pour faire sourire mais pousse à réfléchir sur nos modes de vie urbains et de façon générale sur les identités qui fluctuent au cours d’une vie.
Un premier roman très convaincant plein de verve et de sève incontestablement prometteur.