Lost Girls and Love Hotels
Le 28 avril 2024
Avant d’être une œuvre brillante pour l’excellence de son quartette d’acteurs (Mastroianni-Biolay-Cottin-Lacoste), Chambre 212 est un film splendide sur les tumultes de l’amour. Assurément l’une des mises en scène les plus diaboliques d’efficacité de Christophe Honoré.
- Réalisateur : Christophe Honoré
- Acteurs : Carole Bouquet, Chiara Mastroianni, Benjamin Biolay, Vincent Lacoste, Marie-Christine Adam, Camille Cottin
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français
- Distributeur : Memento Distribution
- Durée : 1h27mn
- Date télé : 13 mai 2023 21:00
- Chaîne : OCS Choc
- Date de sortie : 9 octobre 2019
- Festival : Festival de Cannes 2019
Résumé : Après vingt ans de mariage, Maria décide de quitter le domicile conjugal. Une nuit, elle part s’installer dans la chambre 212 de l’hôtel d’en face. De là, Maria a une vue plongeante sur son appartement, son mari, son mariage. Elle se demande si elle a pris la bonne décision. Bien des personnages de sa vie ont une idée sur la question, et ils comptent le lui faire savoir.
Critique : Le cinéma de Christophe Honoré a souvent emprunté les sentiers de la Nouvelle Vague française, en une manière de lutter à son tour contre l’académisme. Donnant lieu à une poésie de tous les instants, reprenant à son compte une trajectoire de contre-standardisation des films hexagonaux (qui fit son retour de façon larvée début 2000), le metteur en scène s’est délibérément placé dans le sillage de Jean-Luc Godard, Jacques Demy ou encore François Truffaut. On a d’ailleurs pu retrouver chez lui, notamment à travers son recours régulier à Louis Garrel (Ma mère en 2004, Dans Paris en 2006, Les Chansons d’amour en 2007, La Belle Personne en 2008, Non ma fille, tu n’iras pas danser en 2009, Les Bien-aimés en 2011), quelque chose du Jean-Pierre Léaud fétiche de Truffaut. Si Chambre 212 prend sensiblement ses distances (sans totalement rompre) avec cette généalogie, en convoquant cette fois en filigrane les comédies du remariage de l’âge d’or hollywoodien, persiste encore en lui cette sorte de grâce teintée d’urgence. Comme s’il était une fois de plus question de prendre de court les lois économiques en tournant rapidement (six semaines pour Chambre 212, bien plus que 17 fois Cécile Cassard mais toujours a priori avec le même le désir paré d’impatience). Une logique qui sied ici à nouveau parfaitement à cette exploration maniériste (et subversive) de la comédie américaine sentimentale 40’s-50’s (façon Indiscrétions de Cukor, 1940), où Richard (Benjamin Biolay) et Maria (Chiara Mastroianni) se voient, par la force des choses, contraints de prendre du recul sur leurs vingt années de mariage.
- Chiara Mastroianni dans "Chambre 212" © Photo de Jean-Louis Fernandez. Les Films Pelléas. Tous droits réservés.
Parce que l’usure des sentiments, parce que l’étiolement de la fougue amoureuse, parce qu’aussi la confession d’un adultère inattendu, le couple traverse brusquement une crise existentielle. Le temps d’une remise en question, Maria prend une chambre dans l’hôtel juste en face du domicile conjugal. De là-haut, il lui suffit de regarder la pièce allumée de son appartement, de l’autre côté de la rue, pour voir défiler sa vie, ressurgir ses fantômes, comme sur un écran de cinéma. D’une simplicité et d’une puissance confondantes, le dispositif ravive bien sûr le souvenir de Fenêtre sur cour (Hitchcock, 1954), d’autant plus que les deux films partagent une même angoisse face au mariage. Mais plus que cela, Chambre 212 se révèle un modèle d’expérimentation autour de l’amour, tantôt par ses détours cruels aux profondeurs abyssales, tantôt par le biais de sa légèreté doucereuse. À cet effet, Honoré passe en revue tous les éléments qui gravite aux côtés de la passion : la dissipation de l’attachement, les corps qui se flétrissent au fil du temps, les fantasmes de jeunesse que l’on peine à ressusciter… autant de trésors du passé, souvenirs inaltérables, pulvérisés sous les assauts du présent. Pour autant, l’enjeu de Chambre 212 n’est pas seulement de contempler le révolu avec nostalgie et/ou fatalité, mais plutôt de comprendre comment grandir par-delà cette distance avec l’objet désiré, de voir comment la mémoire tend aussi à enjoliver et déformer les souvenirs. L’indiscipline sinon la sédition latente du récit – emmenée par Maria, croqueuse d’hommes affranchie – prend toutefois ses distances avec la tradition d’un perfectionnisme moral (celui qui est propre aux comédies classiques du remariage). L’on a beau s’évertuer à les raccommoder, les erreurs demeurent, tandis que l’amour passe et quelquefois revient – ainsi s’opèrent les vicissitudes d’une métaphysique insaisissable.
- Copyright Jean Louis Fernandez
Rien d’étonnant dès lors, pour illustrer ces remous intangibles, à ce qu’Honoré choisisse comme souvent de faire reposer sa mise en scène sur cette contradiction épineuse, entre la rugosité infinie des mots et le charme envoûtant, rassurant même, des décors. De ce mélange impossible, découlent toute la complexité et le romanesque de son cinéma composite. Dans ce huis clos théâtral (on connaît l’amour d’Honoré pour ce médium et pour Resnais, prolixe en la matière), où la chambre tient lieu d’horizon, la maîtrise flamboyante jouxte ainsi le déchirement absolu. D’un côté, se déploie un implacable mensonge souillant une relation amoureuse en apparence indestructible, de l’autre ce même égarement rend possible ce fantastique maelstrom où les couloirs du temps s’ouvrent et s’interpénètrent sans cesse. Pelotonnée autour d’une rue parisienne onirique, la structure abonde en formes et mouvements. Route, portes et fenêtres se font l’écho de la porosité et de la ductilité des sentiments. D’un bout à l’autre de l’espace du film, des voies béantes sont ainsi là pour laisser transiter les réminiscences et les tourments, lesquels se matérialisent comme des spectres et des dédales. Cartographiée mentalement, emportée par la musique (Donna Summer, Jean Ferrat, Charles Aznavour…) et le montage harmonieux, la remise en question devient un terrain de jeu à la fois beau et émouvant. Difficile aussi de résister au casting de cette œuvre impertinente, avec d’une part la malice de Chiara Mastroianni (héroïne qui assume seule son insouciance et son infidélité chronique - chose rare) et l’émotion de Benjamin Biolay, d’autre part la tendresse de Camille Cottin et la jeunesse facétieuse de Vincent Lacoste. Mention spéciale enfin pour la scène où Carole bouquet, bouleversante, nous ramène au Trop belle pour toi de Bertrand Blier (1989). Sans aucun doute l’une des tribulations amoureuses les plus virtuoses du 72e Festival de Cannes.
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ceciloule 24 juin 2020
Chambre 212 - Christophe Honoré - critique
Un "fantastique maelstrom" en effet, plein d’onirisme, de fantaisie et de légèreté mais véhiculant aussi une réflexion plus profonde sur le couple et la fidélité (j’en parle plus longuement ici : https://pamolico.wordpress.com/2020/06/24/chambre-212-christophe-honore/).