Le 4 février 2021
Loin de l’adaptation scrupuleuse, Buñuel réinvente le roman initial à sa manière inimitable.
- Réalisateur : Luis Buñuel
- Acteurs : Carole Bouquet, Fernando Rey, Ángela Molina, Julien Bertheau, Muni, Milena Vukotic, Bernard Musson, Jacques Debary, André Weber, Piéral
- Genre : Drame, Romance, Film culte
- Nationalité : Espagnol, Français
- Distributeur : Carlotta Films, Compagnie Commerciale Française Cinématographique (CCFC)
- Durée : 1h45mn
- Date télé : 30 octobre 2024 19:07
- Chaîne : Ciné+ Classic
- Reprise: 2 août 2017
- Box-office : 812 574 entrées
- Date de sortie : 17 août 1977
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Résumé : Lors d’un voyage en train, Mathieu Faber raconte aux passagers de son compartiment ses amours avec Conchita, femme radieuse qu’il poursuit de son obsession à travers l’Europe. Mais elle se dérobe toujours à ses avances...
Critique : Dernier film de Buñuel, cette transposition contemporaine de La femme et le pantin de Pierre Louÿs (après notamment celles de Sternberg et Duvivier) est une œuvre complexe, parsemée d’étranges idées. L’histoire est pourtant apparemment simple : dans un train, Mathieu, après avoir jeté un seau d’eau sur une femme, raconte aux autres passagers les liens de soumission qui les ont unis : car si les amis du Charme discret de la bourgeoisie ne parvenaient pas à manger, lui accumule les frustrations tant elle ne cesse de se refuser. Déjà très sombre en elle-même, l’intrigue se complique ou s’enrichit d’éléments qui viennent perturber la narration : ainsi Buñuel fait-il jouer Conchita par deux actrices, concrétisant la nature duplice de la femme (oui, le film comme le roman d’origine est un peu misogyne) ; entre la vierge et la putain, elle provoque pour mieux se dérober ; chaque fois que Mathieu (ou Matéo, lui aussi double) pense avoir gagné, un obstacle se présente et chaque fois l’obstacle est plus grand. Conchita joue aussi à l’occasion la mère, lui chantant une chanson ou lui offrant un bonbon, mais au total elle reste une énigme complète : le veut-elle pour son argent ? Le guitariste est-il son amant ? Nous n’en saurons rien. Ou plutôt, la seule chose dont on soit sûr, c’est que Buñuel n’imagine l’amour que comme un rapport de soumission et, quand Mathieu la frappe, elle rampe à son tour à ses pieds. On n’est pas très loin de la jalousie mortifère de El dans cette infernale suite d’humiliations plus ou moins consenties : après tout l’homme n’est-il pas une victime masochiste consentante ? Et elle, est-elle sincère quand elle lui affirme : « si je te donnais tout ce que tu veux, tu ne m’aimerais plus », ou quand elle lui dit qu’il la dégoûte ? De ce jeu pervers se dégage une impression de répétition sans fin, puisqu’après le voyage, ils sont ensemble à Paris et tout semble recommencer : il la saisit, elle se dérobe.
Mais Buñuel parsème son film d’étranges détails qui n’ont semble-t-il rien à voir : une mouche dans un verre ou une souris prise au piège, autant de métaphores de sa situation ; plus étrange encore, la récurrence d’un sac : celui que Mathieu offre à Conchita puis le sac de linge qui apparaît et disparaît, jusqu’à clore quasiment le film, quand une femme dans la vitrine reprise un linge qu’elle en a extrait. Ce motif curieux fait néanmoins écho à une phrase que le valet de Mathieu prête à l’un de ses amis : « la femme est un sac d’excréments »… ou plutôt un sac de linge délicat perpétuellement à repriser.
Pour les fidèles de Buñuel, cet obscur objet du désir (au passage, quel titre magnifique !) reprend des thèmes familiers : la perversion comme moteur de vie, les charges contre la bourgeoisie ou l’Église. Il réserve à cette dernière un dernier salut ironique puisqu’elle apparaît comme à la base d’attentats meurtriers (le fameux GAREJ : groupe armé révolutionnaire de l’enfant Jésus !) et à la tête de factions d’extrême droite et d’extrême gauche. Dernier clin d’œil en forme de farce à cette institution honnie ; les autres ne valent d’ailleurs pas mieux puisque la police, apparemment inefficace face aux attentats, expulse Conchita et sa mère pour le confort de Mathieu. Bref, on retrouve le jeu de massacre allègre du réalisateur espagnol. Qui plus est, il s’appuie sur « son » équipe, de Jean-Claude Carrière aux seconds rôles, dont l’ineffable Muni, et même à son double Fernando Rey.
De Séville à Paris en passant par la Suisse, Buñuel promène son personnage dans des lieux luxueux qui contrastent avec le domicile misérable de Conchita et de sa mère. Mais cet univers feutré, que l’on retrouve avec les personnages délicats du train (ils sont en première) est aussi un monde assailli de toute part : Mathieu est sans cesse confronté à la violence (agressions, fusillade, explosions), comme si cette société policée se délitait sous des assauts qui viennent de partout (les extrêmes, la religion, mais aussi des jeunes qui cherchent de l’argent, et peut-être in fine une violence gratuite, inhérente à cet ensemble d’individus aux frustrations innombrables, qu’elles soient sexuelles ou sociales). Au fond le décor de ce récit lui ressemble, c’est l’éternelle histoire de la lutte entre dominants et dominés, dont Buñuel préfère rire (car le film est drôle aussi, souvent de manière subtile) puisqu’elle ne peut se terminer que mal, sous la forme d’une explosion généralisée.
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