Buñuel en Corse
Le 26 août 2009
Une adaptation littéraire qui a marqué le retour en France de Luis Buñuel, un quart de siècle après L’âge d’or. Cette dénonciation de la mesquinerie bourgeoise mérite une réhabilitation, loin de sa réputation d’ouvrage mineur.


- Réalisateur : Luis Buñuel
- Acteurs : Gaston Modot, Lucia Bosè, Julien Bertheau, Georges Marchal, Giani Esposito
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Français, Italien
- Editeur vidéo : René Chateau vidéo
- Durée : 1h42mn
- Date télé : 11 juillet 2022 23:35
- Chaîne : Arte
- Date de sortie : 29 mai 1956

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Résumé : Se sentant délaissée par Valerio, son époux médecin, avec qui elle vit en Corse, Angela décide de partir retrouver sa famille à Nice. Pendant ce temps, Valerio s’éprend d’une jeune femme, Clara. Lorsque Sandro, un ami du médecin, tue le patron d’usine qu’il tient pour responsable de la mort de sa femme, Valerio et Clara acceptent de le cacher...
Critique : Ce film marqua le retour de Buñuel en France, après une période mexicaine fructueuse jalonnée par les réussites de Los olvidados ou El. Le cinéaste se frotte ici à l’adaptation d’un roman d’Emmanuel Roblès, qu’il intègre à son propre univers, comme il le fera avec les œuvres de Mirbeau et Kessel dans la décennie suivante. A priori, on pouvait craindre que Buñuel ne se moule dans le conformisme d’un certain cinéma français académique pré-Nouvelle Vague, avec ce synopsis centré autour d’un adultère bourgeois et d’une banale histoire meurtrière, dans le décor touristique d’une Corse de carte postale. C’était mal connaître la force créatrice du maître, qui se fond dans le système pour mieux le dynamiter. Le casting réunit Georges Marchal, alors bel acteur à la mode, et Lucia Bosé, diva italienne fascinante, d’une beauté parfaite, muse d’Antonioni et de Bardem. Il sont bien épaulés par une belle brochette de second rôles dont certains (Julien Bertheau, Gaston Modot), sont désormais définitivement associés à la filmographie du cinéaste. Un quart de siècle après L’âge d’or, comment nous apparaît Buñuel pour ce retour au pays qui l’a révélé ? Son versant surréaliste semble apaisé, le récit est linéaire et le film ne comporte pas les échappées oniriques et fantasmatiques caractéristiques de ses opus futurs dont Viridiana (tourné en Espagne), Le journal d’une femme de chambre ou Belle de jour. Pourtant, on reconnaît sa griffe à travers la sécheresse de la narration, l’humour noir discret et la critique sociale acerbe. Face au conformisme bourgeois de son épouse (Nelly Borgeaud) et de son beau-père, au cynisme ignoble de l’industriel, à l’hypocrisie du policier et à la lâcheté du prêtre (brève séquence mais emblématique), le docteur Valerio incarne l’humaniste intègre, n’hésitant pas à héberger un malheureux recherché pour meurtre mais victime d’une odieuse injustice sociale. Ses bonnes intentions échouent cependant à braver la hargne de la bonne société qui aura le dernier mot. Buñuel l’anarchiste semble ici se méfier du réformisme, inapte à déjouer l’inhumanité du monde moderne. Quelques scènes saisissantes (un tableau religieux blasphématoire dans la villa du médecin, un dialogue de Claudel tourné en dérision) montrent en outre que Dom Luis n’a rien perdu de sa verve anticléricale. Sans dévoiler le dénouement, nous noterons qu’une fin tragique est tempérée par l’image lumineuse d’un couple enfin uni au grand jour et défiant les convenances sociales, tout en découvrant la solidarité avec les gens du peuple. Buñuel croirait-il au bonheur individuel, en dépit de son pessimisme social ?