Capharnaüm - La chronique BD

L’histoire : Martin Mollin est un lapin qui vit dans la riante ville de St Stephane. Vendeur dans une librairie, il vit une vie banale et sans surprise entre son travail, ses rares amis, ses parents, et sa passion pour une bande dessinée relatant périodiquement les aventures d’une équipe de justiciers locaux menée par le mystérieux (et logiquement masqué) Willard Watte. Rien de bien exaltant, donc.

Mais un beau jour sa vie bascule : la librairie est prise d’assaut par une horde de hors-la-loi, et dans la confusion, Martin entrevoit le visage de l’ennemi juré de Willard Watte, un dénommé Gashinga. L’équipe de justiciers le prend donc sous son aile pour le protéger mais aussi et surtout pour tenter de coincer Gashinga. C’en est fini de la tranquillité pour Martin Mollin.

Notre avis : disons le tout net, pour éviter les confusions ultérieures : Lewis Trondheim est un génie de la narration. Il nous propose ici une aventure prévue à la base en 5000 pages et malheureusement inachevée. La seule envie qui consume le lecteur à sa lecture est bel et bien de tourner frénétiquement les pages pour savoir ce qui va arriver à ce brave Martin.

Et pour cause : appuyé par son dessin d’apparence naïf mais extrêmement lisible et dynamique (on s’emm**** beaucoup moins que devant du Manara, par exemple), Trondheim nous propose un récit fascinant, à la fois policier, d’aventures, comique, fantastique...... La liberté offerte par ce format feuilletonesque au long cours lui permet d’aborder pléthore de sujets comme par exemple le décalage entre propagande et réalité, quand Martin rencontre "pour de vrai" ses héros de papier. A l’instar d’un Alan Moore dans Watchmen, il s’interroge également sur le bien-fondé de la figure traditionnelle du justicier masqué ("who watches the watchmen ?" pour les connaisseurs), parfois plus dévastateur pour une ville que le criminel qu’il traque, et glisse même une intrigante "BD dans la BD".

Ce format permet aussi et surtout à Lewis Trondheim de faire ce en quoi il excelle : s’intéresser à ses personnages. Qui croirait qu’il est possible de s’attacher aussi facilement à un lapin dessiné au feutre, sans couleurs ni même crayonnés ? Et pourtant..... L’auteur prend le temps de construire ses personnages, même si c’est au prix d’une histoire qui semble démarrer lentement. Les membres de l’équipe de Willard Watte sont particulièrement réussis : caricaturaux, comme le bras droit bourru du chef ou le lézard spécialiste d’arts martiaux, ils sont rendus plus humains par le contraste entre leur image publique et leur réelle personnalité. Enfin, même les personnages secondaires ne sont pas en reste, même s’ils ne font que passer : le lecteur se souviendra longtemps du libraire, Mr Malhairbe, se débarrassant avec humour et panache d’un client mal embouché.

Pour conclure, un GROS bémol vient quand même noircir le tableau : on ne saura jamais ce qu’il advient de Martin. Qui est vraiment Willard Watte ? Quelles sont les motivations de Gashinga ? Qu’est ce que c’est que cet étrange cerveau, dans le laboratoire ? Espérons que Lewis Trondheim ait un jour envie de reprendre son récit, mais ce n’est pas une raison pour bouder notre plaisir. Gros coup de cœur du mois.