C’est une terre du bout du monde, une terre de l’extrême où les éléments jouent avec les êtres vivants qu’ils soient humains ou animaux avant de les briser nets tels des fétus de paille. La Terre de Feu, règne du vent et du froid, a son héraut, Francisco Coloane qui excelle à raconter nouvelle après nouvelle comment cette grande île à la pointe de la Patagonie broie les hommes qui tentent de l’exploiter sur terre comme en mer. En témoignent les histoires de Cap Horn, l’un des recueils les plus populaires de l’auteur chilien, tout juste réédité en format poche chez Phébus.

Les pêcheurs affrontent des icebergs fantômes dans ce véritable couloir de naufrages qu’est le détroit de Magellan et les gardiens reclus aux avant-postes des estancias deviennent fous à force de solitude, d’alcool et de vent. Même les animaux succombent comme ces troupeaux de moutons affolés par les tempêtes d’hiver au point de s’étouffer, bloqués sous des amas de neige et de glace. Seuls les êtres, "dressés à la cruelle caresse du givre et de la glace, endurcis par le vent violent de la pampa, qui d’une loque fait un nœud et de ce nœud une arme" parviennent à survivre au prix de quelque accès de violence et de folie.

Si cette terre est impitoyable, elle n’en efface pas moins les preuves matérielles de leurs crimes, dispersées par le vent. Seule la rumeur court dans la pampa pour s’épaissir sous la forme d’une légende terrible et violente sous la plume de Coloane. Ce dernier est né à Chiloé, une petite île chaleureuse du Chili aux maisons colorées mais ses mots semblent quant à eux avoir surgi directement de la pampa patagone, secs comme les buissons de mata negra et coupants comme la glace. Ancien pêcheur à bord d’un baleinier, Coloane jette par-dessus bord toute parole superflue afin de se concentrer sur l’essentiel pour raconter de façons extraordinaire l’horreur magnifique de la Terre de Feu et la démesure. Eblouissant comme un soleil glacial !