Lepreux show
Le 20 novembre 2018
Un énième feel-good movie sur route qui surprend, sans tomber, a priori, dans le piège du misérabilisme moralisateur. Mais en approfondissant l’approche de l’auteur, il n’est pas impossible de trouver sa naïveté quelque peu troublante...
- Réalisateur : A.B. Shawky
- Acteurs : Rady Gamal, Ahmed Abdelhafiz, Shahira Fahmy
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Américain, Autrichien, Égyptien
- Distributeur : Le Pacte
- Durée : 1h37mn
- Date de sortie : 21 novembre 2018
- Festival : Festival de Cannes 2018
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– Compétition officielle Cannes 2018
Résumé : Beshay, lépreux aujourd’hui guéri, n’avait jamais quitté depuis l’enfance sa léproserie, dans le désert égyptien. Après la disparition de son épouse, il décide pour la première fois de partir à la recherche de ses racines, ses pauvres possessions entassées sur une charrette tirée par son âne. Vite rejoint par un orphelin nubien qu’il a pris sous son aile, il va traverser l’Egypte et affronter ainsi le Monde avec ses maux et ses instants de grâce dans la quête d’une famille, d’un foyer, d’un peu d’humanité…
Notre avis : « Je suis un être humain » voit-on crier Rady Gamal dans l’une des scènes les plus bouleversantes de Yomeddine. Une réplique qui rappelle ostensiblement Elephant Man. Mais le parti-pris audacieux d’A.B. Shawky qui est d’avoir embauché un vrai lépreux -mais aussi, dans des rôles secondaires, un vrai cul-jatte et un nain- renvoient à un autre classique : Freaks de Todd Browning. Deux références humanistes qui pèsent lourd sur les épaules du jeune réalisateur égyptien. Son postulat se donne pourtant l’allure d’une fable misérabiliste donneuse de leçon. C’est même la direction que semblent se donner les premières minutes de son film, dans lesquelles on suit Beshay, notre lépreux, ramasser des ordures dans une décharge géante avant d’apprendre le décès de sa femme. Fort heureusement, c’est paradoxalement son deuil, mais aussi son amitié avec Obama, un orphelin nubien très attachant d’une dizaine d’années, qui vont rapidement remettre le film sur les rails du feel-good movie sous forme de road trip. En quittant la léproserie (un dispensaire pour lépreux) pour s’aventurer dans un pays où les lépreux sont violemment ostracisés, Beshay et Obama vont, selon les codes tutélaires du genre, faire une série de rencontres égayantes qui vont permettre de donner à l’Egypte une image loin de se limiter à son seul rejet brutal des handicapés. Un schéma classique, enthousiasmant et surtout moralement irrépréhensible, même si on en connaît déjà tous les contours jusqu’à la fin.
- (C) Desert Highway Pictures - Film Clinic - distribution : Le Pacte
Si l’on excepte la leçon assénée rappelant que les lépreux ne sont pas forcément contagieux, tout est fait pour transformer cette odyssée en pur divertissement familial : personnages sympathiques, images lumineuses et musique agréable. Quelques dialogues vont même injecter une part de religieux dans cette quête d’identité. Pourtant, la motivation presque obsessionnelle de Beshay et d’Obama qui est de retrouver leur famille, puis la façon dont on découvre ce groupe d’handicapés sans-abri vivant entre eux, laissent deviner que le réalisateur va, consciemment ou non, vers un discours prônant le repli sur soi. La scène, dans les dernières minutes, où Beshay finit par rencontrer son père et le discours de celui-ci comme quoi il l’a abandonné parce qu’un lépreux avait plus de chance de trouver le bonheur parmi les siens qu’en ville va même lourdement cautionner ce message communautariste. La conséquence directe de cet échange moralement répréhensible sera une interrogation sur le véritable sens du bonheur, une question intangible et à laquelle Abu Bakr Shawky ne saurait donner de réponse. Le fait que ses deux personnages retournent à leur point de départ n’est finalement qu’un poncif de plus du genre, l’un de ceux que l’on avait deviné depuis un petit bout de temps. Les lépreux, quand bien même ils sont des êtres humains comme les autres, ont-ils leur place au côté des autres Égyptiens ou ne vaut-il pas mieux (pour eux) qu’ils soient mis à l’écart ?
- spip-slider
- (C) Desert Highway Pictures - Film Clinic - distribution : Le Pacte
La question pourra, par extension, s’appliquer à tant d’autres. Le trouble est là, subrepticement dissimulé derrière un feel-good movie aux allures de Little Miss Sunshine égyptien que d’aucuns jugeront « inoffensif ». Pour cela, la démarche mérite bien plusieurs niveaux de lecture et rend le film moins banal que l’on pourrait le croire. Enfin un film cannois que le grand-public appréciera ? Les cyniques, de leur côté, passeront leur chemin, au risque d’être allergiques à cette oeuvre troublante, faute d’être totalement enthousiasmante.
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