Le 11 mai 2016
- Scénariste : Didier Quella-Guyot>
- Dessinateur : Sebastien Morice
- Coloriste : Sebastien Morice
- Genre : Adaptation
- Editeur : Grand Angle
- Famille : BD Franco-belge
- Date de sortie : 1er janvier 2016
- Durée : 1
Boitelle Et le Café des Colonies est une adaptation d’une nouvelle de Maupassant... et même un peu plus que cela !
Résumé :
Antoine Boitelle est un ordureux, un vidangeur de fosses sceptiques, le gars qu’on appelle pour les besognes sales. Vraiment sales. Tout cela lui importe peu, il fait son travail sans dégoût ni amertume. Un jour, sa route le fait croiser Monsieur Auballe. Curieux des événements qui ont mené cet homme à choisir cette vie sans rechigner, il lui propose un verre et écoute son histoire, l’histoire du jeune soldat Antoine Boitelle, âgé d’à peine vingt ans, qui rencontre, au port du Havre, la magnifique Norène, serveuse au Café des Colonies. L’amour s’installe mais rien ne va marcher comme Antoine le souhaite, car il est blanc et Norène est noire. Et en cette fin de dix-neuvième siècle, les amours mixtes sont loin d’être aussi courantes que maintenant et surtout loin d’être aussi bien acceptées.
Notre avis :
Le racisme ordinaire. Un thème loin d’être passéiste, même aujourd’hui. A travers cette histoire, c’est un sujet bien d’actualité que Didier Quella-Guyot traite dans cette adaptation. Le personnage d’Antoine Boitelle est touchant dans sa naïveté, celle de croire que tout va bien se passer. Touchant, mais compréhensible. Ce fils de paysan ne peut vraiment avoir conscience du refus qui va s’opposer à son amour, étant donné que ni lui-même ni sa famille n’a jamais rencontré de femme noire avant Norène ! Il en est réduit, pour expliquer la couleur de peau de son aimée, à avoir recours à des journaux. C’est dire. Et forcément, dans son village de Tourteville, cet événement ne peut passer inaperçu. Mais si l’on regarde bien, les réactions ne sont pas dans la haine, mais dans la curiosité ou dans la peur. Norène est trop différente, trop étrangère, trop voyante, les gens s’approchent d’elle comme pour regarder une curieuse et exotique attraction. Contre tout cela, Antoine Boitelle va réaliser l’horreur du racisme ordinaire. Pas de haine, juste le rejet. Mais le rejet qui fait vraiment mal. Norène, amoureuse tout aussi sincère qu’Antoine, fait de son mieux pour plaire à sa belle-famille.
Le couple se heurte à une mentalité bien ancrée, la peur de l’inconnu. Aujourd’hui, on se rassure en se disant que ces temps-là sont loin. Mais il ne faut pas. La peur de l’inconnu ne s’exprime plus par le seul rejet, au contraire, elle donne naissance à la haine. Et nous aurions tort de croire que dans toutes les familles, de telles scènes ne pourraient plus se reproduire. Nous sommes prêts à parier que bien plus de gens qu’on ne pense prendraient le parti des parents d’Antoine. C’est donc un choix bien d’actualité et bien engagé qu’ont fait Qella-Guyot et Morice en travaillant sur la nouvelle de Maupassant.
Et les deux auteurs ont modifié certaines choses, comme la scène avec le curé, tout en restant fidèle à la nouvelle de base de Maupassant nommée simplement « Boitelle ».
Le beau travail de Didier Quella-Guyot repose sur deux idées majeures et fort intéressantes. Boitelle rencontre Monsieur Auballe, vieil homme bourgeois qui a séjourné en Afrique. Ce personnage, absent de la nouvelle originelle, vient néanmoins tout droit de l’univers de Maupassant. Il est le curieux héros amoureux de la nouvelle « Allouma », que vous pourrez lire dans le même livre que « Boitelle », un recueil intitulé « La Main Gauche ».
Auballe et Boitelle, par leurs histoires, sont plus proches que ne laisseraient penser leur apparence.
C’est un des deux coup de maître de ce récit. Deux héros de Maupassant se rencontrent et échangent.
Le deuxième tour de force repose dans un cahier de huit pages à la fin de la BD. Ce cahier est une nouvelle de Didier Quella-Guyot illustrée par des dessins de Morice. Elle raconte ce qu’est devenue Norène après la fin de Boitelle et le Café des Colonies. Une idée intéressante qui donne une voix à Norène. Mais contrastant avec la cruauté réaliste de Maupassant, « Le goût de Norène » prend une autre direction. Celle d’un happy end. Si nous en avons été heureux pour la jeune femme, nous en étions presque triste par rapport à l’ambiance précédente. Peut-être que l’auteur voulait donner un espoir positif, une note de bonheur qu’aucune des deux nouvelles n’offrait vraiment. Ce qui est tout à fait louable. Mais en lisant Maupassant, on s’attend bien à des dénouements malheureux, et cette belle fin contraste un peu durement avec le début. C’est une bonne idée, mais nous n’avons pas été emballé par son exploitation.
Pour l’aider dans la lourde tâche, Quella-Guyot a fait appel à Morice. Ce n’est pas là leur première collaboration, citons Facteur pour Femmes et Papeete, 1914. Morice donne vie à Boitelle, Norène, Auballe et ceux qui les entourent. Le style est rond et léger. Les personnages expressifs savent faire passer leur vitalité. Les décors sont eux aussi présents mais non omniprésents. Les couleurs pastels, les tons mats, les décors stylisés parfois donnent à l’histoire une couleur passée. On est bien loin de notre époque et par ces choix graphiques, Morice nous emmène dans cette fin de dix-neuvième siècle. De ces traits émane une certaine douceur, que la rugosité de l’histoire ne parvient pas à effacer.
Notons le travail fait sur les ombres, discrètes mais toujours présentes, le soleil est bien là. Nous repensons à la vue générale de la gare avec cette énorme baie vitrée, par exemple.
Chaque case ne dispose d’aucun contour, et toutes sont bien séparées par le classique intercase blanc. Si bien que certaines d’entre elles rappellent plus des photos d’époque. On sent la douce chaleur qui nous réchauffe tout autant que les personnages. Les planches se composent de deux à cinq bandes de une à quatre cases. Morice joue énormément sur les chevauchements de case, imbriquant ainsi, discrètement, certains éléments du récit. Ou les utilisant comme un zoom partant d’un vaste décor et se resserrant sur les personnages.
Le cadrage reste assez simple, plans larges, plans serrés champ et contre-champ. Mais toujours usés de manière à faire ressortir l’ironie amère d’une situation. Comme l’achat des billets de train, les échanges amoureux de Norène et Boitelle. Quand le cadrage prend du large, que parfois les plongées arrivent, on les ressent surtout, par exemple, dans la discussion d’Antoine avec ses parents, pour leur parler de sa fiancée. Le malaise parental se reflète dans cette mise en scène simple, ils discutent autour de la table, avec ses cadrages variés, plongée, contre-plongée, gros plan, désaxage du cadre. Autant de manières discrètes, toujours, de faire ressentir l’émotion d’une séquence.
Boitelle et le Café des colonies est l’exemple presque parfait de l’adaptation, voire même de l’extrapolation de l’univers de Maupassant. Style pictural au service de l’histoire, belles idées de narration, nous avons juste un petit doute à émettre, ce choix de la note de fin, presque trop heureuse pour être Maupassantienne...
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