Betty Boob - La chronique BD

Raconter le lendemain d’une ablation du sein sous la forme d’un conte muet et coloré, le pari était osé. Condenser la menace du cancer, la transformation corporelle et physique, évoquer le regard des autres, puis faire apparaître un cabaret sur une péniche, nouer de nouveaux liens, renaître et vivre enfin, tout cela en moins de deux cent pages, c’est clair que le challenge allait s’avérer ardu. Véro Cazot et Julie Rocheleau ont dépassé les attentes et pulvérisé leur objectif en créant un livre à la fois terriblement gai et triste exceptionnellement vivant et captivant, une leçon de vie aussi bien qu’une leçon graphique. Au-delà du personnage, très attachant, c’est tout un monde que Betty Boob entraîne dans son sillage : une société au mieux confuse, au pire recluse, qui vit dans une première partie, jusqu’à ce que jaillisse de nulle part un cabaret aux allures de thérapie. Sorte de Pigalle sur l’eau, théâtre des transformations et des amputations, il vit aux marges et élargit l’horizon de chacun qui passe sa porte. Hélas, le monde réel ne regorge pas de lieux si tolérants, et il faudrait davantage que la société, et surtout son regard, se modifie, plutôt que les originaux cherchent un endroit où se cacher. L’héroïne est parfaite, de terreur ou de pudeur, et ses compagnons, qu’ils soient néfastes ou bénéfiques, trouvent leur place dans un conte moderne, sans niaiserie forcée, où certes l’ensemble a un côté enjolivé, mais le merveilleux au XXIème siècle a aussi le droit d’exister.

© Casterman

Les couleurs, les symboles, les feux d’artifice sur chaque page rendent Betty Boob inclassable, car l’absence de dialogues fait prendre d’autant plus d’importance au dessin. Un sourire, une respiration, une lumière ou un contraste peuvent acquérir tellement de sens qu’ils en sont étourdissants. Le scénario participe à cet étourdissement de la vue, les scènes et les rebondissements s’enchaînant au gré des envies ou obligations de l’héroïne. Ces folies graphiques sont cependant exécutées avec un talent certain  : attention, Julie Rocheleau fait partie de ces artistes à l’empreinte géante.

© Casterman

Ode à la différence et à l’insouciance, Betty Boob réussit à chanter la vie sans une seule parole. D’un sujet souvent éludé, qui donne la mine sombre, le duo a réussi à créer un objet lumineux et qui mérite sa voix dans le débat public. Surtout donc, ne cachez pas ce sein que je ne saurai voir.

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