Le 27 octobre 2020
- Scénariste : Loo Hui Phang
- Dessinateur : Hugues Micol
- Famille : BD Franco-belge
- Editeur : FUTUROPOLIS
- Festival : Bédérama 2020
- Date de sortie : 13 octobre 2020
Le festival Bédérama s’est déroulé du 17 au 20 septembre et nous a offert un beau panel de rencontres avec des auteurs de tous horizons. Parmi eux, lors d’un apéro dessiné, Loo Hui Phang et Hugues Micol sont venus nous parler de leur dernière collaboration : une BD intitulée Blackout.
Résumé : Autour d’une table, dans un échange animé par Alex Masson, Loo Hui Phang et Hughes Micol ont partagé avec nous la genèse, le développement et le message de cette BD qui nous ramène dans le Hollywood des années cinquante, aux côtés de Maximus Wild, acteur de couleur qui cherche à percer dans le monde du cinéma.
En répondant aux différentes questions de Alex Masson, Loo Hui Phang parle d’invisibilité. Avec l’identité, c’est un des sujets qui court au travers de son œuvre et qu’elle voulait traiter avec cette BD. Elle nous explique que finalement, un auteur décline de différentes manières ses thèmes de prédilection. En voyant les films classiques de l’age d’or, elle se demandait qui était ces acteurs de couleur de second plan, ces comédiens noirs, indiens, chinois qu’on voyait. Elle s’est rendue compte qu’il était difficile de trouver des informations sur eux.
Et petit à petit, est venu le personnage de Maximus Wild. Bien que métis africain, il symbolise toutes les minorités. Au cours de l’histoire, ce personnage joue dans différents films des rôles multiples, et finalement, il couvre le panel des rôles des minorités.
Maximus Wild est un personnage fictif, implanté dans un monde réel. Il croise différents acteurs, comédiens, personnes de cinéma, qui eux ont bel et bien existé.
Les films réels se mélangent aux films inventés.
Pour créer ces personnages véridiques du Hollywood de années cinquante, Loo Hui Phang s’est inspirée des biographies de différents comédiens.
En se documentant afin de développer cette histoire, elle a découvert la vie de l’acteur Paul Robson. Elle s’est rendue compte que la réalité dépassait la fiction. Paul Robson était un artiste noir, engagé, acteur, chanteur d’opéra, entre autres talents.
Mais il a trop parlé, et ses sympathies communistes ont incité la CIA a tout simplement l’effacer. Il fut interdit de concert, il ne trouva plus de travail. Et il disparut des écrans.
Paul Robson a nourri Maximus Wild, même si la vie de Maximus n’est en aucun cas une adaptation romancée de la vie de Paul Robson.
Maximus n’existe pas. Il a infiltré Hollywood, comme l’indique son nom qui regroupe une partie des lettres de la ville du cinéma.
Le but de la vie de Maximus est d’exister à l’écran avec de vrais rôles. Pour la filmographie de Maximus, Loo Hui Phang avait lancé un appel sur Facebook pour demander qu’on lui donne des films parlant d’invisibilité au sens large. Parmi les titres qui sont apparus, elle a pu piocher certains éléments et en a créé d’autres. Mais ces créations faisaient sens avec le contenu de l’histoire, avec certains moments du récit.
Cette BD met en scène une personne invisible qui tente d’exister, à l’inverse de Hollywood, qui crée des fantômes à partir de gens qui existaient. En effet, ces stars sont au départ des messieurs tout-le-monde ou madames tout-le-monde qui sont « retouchées » et transformés en vedettes. Ils perdent leur vie, ne sont plus libres de leurs actions. Ils n’existent qu’à travers leur rôle de star.
Le revers de Hollywood ressort aussi dans cette BD. Maximus le découvre tout comme le lecteur. n’étant pas reconnu, il n’a pas de rapport de force avec les autres. Lorsqu’il échange avec les stars féminines, il n’est pas dans la compétition, la rivalité, le lutte de pouvoir. Là aussi, il se différencie du système qui doit imposer son pouvoir à ses créatures.
L’histoire initiale de Loo Hui Phang couvrait tout le cinéma jusqu’à la blaxploitation des années soixante-dix. Mais en développant l’histoire, elle s’est rendue compte que cela représentait un énorme récit. Et il n’y avait qu’une BD de deux cent pages pour tout raconter. A la fin de ces deux cent pages, la BD avait atteint la fin de l’âge d’or, la fin de l’innocence et aussi du Maccarthysme. Et ils se sont arrêtés là. Finalement, avec le recul, Loo Hui Phang trouve que c’était le meilleur endroit où conclure l’histoire, où placer cette fin en suspens. On laisse Maximus sans savoir vraiment ce qu’il va devenir, fin ouverte au cœur d’un monde qui s’écroule.
Ce monde de l’apparence, c’est Hughes Micol qui l’a dessiné. Il nous explique qu’il travaille beaucoup à l’instinct. Instinct qu’il atteint en se concentrant suffisamment pour arriver au moment de relâchement total lui permettant de dessiner de manière fluide sans plus avoir conscience de ce qu’il fait. Il a du mal à expliquer sa technique. Il ne s’agit pas de réflexion mais vraiment de détachement. Cet état est assez difficile à atteindre. Il faut gérer bien sur les contraintes comme le texte à placer dans les cases, et donc ménager l’instinct et la pratique.
Il nous raconte qu’il y a bien sûr un travail de documentation, par exemple, pour le matériel, sur le type de caméra qu’on pouvait utiliser à cette époque, à cette année précise, mais a contrario, pour les personnages, il y a beaucoup d’instinct. Maximus lui a été inspiré par une photo du grand-père de Loo Hui Phang. Pour Maximus Wild, cet acteur multiple, Hughes Micol a fait évoluer son visage, ses expressions selon les moments, selon les tournages. En effet, dans un vrai film, on ne peut manipuler le physique de ses comédiens, mais la BD permet cela, et Hughes Micol a largement profité de cette possibilité. Pour les autres comédiens, les vrais, il était impossible de reproduire leur cinégénie, leur capacité à dégager quelque chose de plus que la simple capture d’image, alors il a joué sur un autre tableau. Sur le fait qu’on les découvrait hors tournage, au réveil, dans la rue, sans maquillage, là, ils n’avaient pas le visage de star, tout en étant celle-ci. Là, il y avait un espace où le dessinateur pouvait jouer.
C’est ce que Hoo Lui Phang apprécie chez Hughes Micol, son talent graphique, et son aptitude à se laisser porter par l’instinct pour sortir le bon dessin.
Elle travaille son scénario pour ne pas lui imposer sa vision, mais pour lui faire ressentir des moments, et c’est là que les choses se déclenchent.
Ils prennent pour exemple une page inspiré de l’affiche de Vertigo. Kim Novak vue de dos, et ce chignon qui crée l’effet de spirale qui marque l’affiche de Vertigo, avec la personne qui tombe. Il n’y a pas eu d’échange construit entre eux pour établir à quoi ressemblerait la planche. Il y a eu une piste dans le scénario et Hughes Micol a vu cette planche, cette image dans sa tête et l’a dessinée.
Loo Hui Phang et Huges Micol avaient déjà travaillé ensemble sur Prestige, une BD se déroulant dans le monde des super-héros. Au delà des mythes américains, ce qui les intéresse est de revisiter des genres, de comprendre les codes pour pouvoir se les réapproprier. Loo hui Phang se demande ce qui fait un western, une histoire de super-héros, un polar, et à partir de ces codes, elle tente de raconter autrement. Elle se heurte à la limite et à la question « si je franchis la limite, suis-je encore dans le genre ? ».
Avec Blackout, c’est la question du biopic, comment mieux contourner le genre que de raconter le biopic de quelqu’un qui n’existe pas au milieu de gens existant ?
La question du genre, pour Loo Hui Phang, c’est aussi la question de l’identité, de la frontière à franchir, de l’exil.
L’échange se termine sur une dernière question :Quel est leur biopic préféré ?
Loo Hui Phang parle d’un livre de Denis Rossano Un père sans enfants revenant sur la vie du réalisateur Douglas Sirk et sur son fils, devenu star du cinéma nazi. C’était le drame personnel de Sirk. Elle se demande si ce n’est pas de là que viendraient peut-être ses mélos…
Quant à Hughes Micol, il parle de La maîtresse de fer, un biopic consacré à Jim Bowie, l’inventeur du couteau Bowie avec Alan Ladd. Un biopic qu’il a trouvé un peu foutraque mais génial. Quand on s’empare de l’histoire avec un grand H pour en faire n’importe quoi, il adore.
Après cette rencontre passionnante, le festival a continué et nous a offert de nombreuses autres surprises.
Photos : David Neau
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