Hymne à la joie
Le 25 mars 2024
Cette adaptation de Shakespeare est une réussite de Kenneth Branagh.
- Réalisateur : Kenneth Branagh
- Acteurs : Kenneth Branagh, Denzel Washington, Keanu Reeves, Imelda Staunton, Emma Thompson, Kate Beckinsale, Michael Keaton, Robert Sean Leonard
- Genre : Comédie dramatique, Romance
- Nationalité : Britannique
- Distributeur : UGC Distribution
- Durée : 1h50mn
- Titre original : Much Ado About Nothing
- Date de sortie : 26 mai 1993
- Festival : Festival de Cannes 1993
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Résumé : Après les jeux de la guerre, les fidèles compagnons de Don Pedro, Claudio et Benedict, vont se livrer à ceux de l’amour, aussi cruels et exaltants avec leurs lots de trahisons, leurs ruses mots d’esprit.
Critique : Parce que le nom de Kenneth Branagh est aujourd’hui synonyme de médiocrité – le plutôt réussi Belfast peine à faire oublier ses récentes mésaventures marvelliennes, disneyennes ou poirotesques – il est judicieux de se (re)pencher sur les débuts du cinéaste pour se souvenir que le Yes Man actuel fut dans les années 1990 le digne héritier de Laurence Olivier.
Avant de passer derrière la caméra, Kenneth Branagh, comédien et metteur en scène irlandais, doit sa carrière au bel acharnement qu’il eut à magnifier les pièces de William Shakespeare. D’abord en tant qu’acteur, puis metteur en scène avec sa compagnie théâtrale Renaissance Theatre Company, Branagh s’attaque aux classiques du maître anglais et accède à la renommée. Fort de ses succès shakespeariens, c’est sous l’égide de ce fidèle allié que Branagh se lance en 1989 dans la réalisation avec une adaptation de Henry V. Il réaffirme par la suite trois fois sa fidélité au saint patron des théâtreux anglais, sans compter les films d’inspiration shakespearienne ou qui évoquent, de près ou de loin, la figure du maître. Devenu une référence en la matière – il faut l’écouter expliquer l’Iambic pentameter (versification utilisée dans les œuvres de Shakespeare) devant la caméra d’Al Pacino dans Looking for Richard – il voit sa filiation avec Laurence Olivier devenir évidente aux yeux du grand public. Le film My Week with Marilyn scelle ce passage de flambeau. L’acteur y prête ses traits à la figure tutélaire du théâtre et du cinéma britannique de la génération précédente, celui-là même qui avait enchaîné avec succès les portages de l’auteur élisabéthain sur grand écran. Si l’ambition shakespearienne de Branagh trouve son point paroxystique dans son adaptation de Hamlet en 1996 – doté d’un casting de premier plan et richement orné, le film fait le pari d’une adaptation intégrale de la pièce, et excède les quatre heures – c’est à une œuvre plus modeste mais peut-être aussi plus émouvante et folle que nous nous intéresserons ici.
Sorti en 1993, Beaucoup de bruit pour rien, adapte la pièce éponyme de l’auteur, notoirement l’une des plus drôles et joyeuses de son répertoire. Après la guerre, Don Pedro et ses hommes reviennent en Italie pour trouver repos et agapes dans la florissante demeure de Léonato, gouverneur de Messine. L’occasion pour les hommes, qui rentrent de la guerre, et les femmes, qui cessent de les attendre, de se retrouver, faire la fête, l’amour, et pour nos héros de – peut-être ! – s’avouer leurs sentiments. L’action se concentre autour de deux couples : le couple romantique formé par Claudio et Héro, qui se matent de loin sans oser s’adresser la parole tels de fiévreux collégiens ; le couple comique, Béatrice et Bénédict, se charriant sans cesse pour mieux cacher la passion qu’ils se portent. Le récit, ludique en diable, met en scène les intrigues et les pièges qu’instiguent Don Pedro, Léonato et les autres pour que concluent enfin ces deux paires qui lambinent à s’assembler.
Le charme principal et immédiat du film de Branagh vient de sa propension à embrasser cet argument « cour de récré » sans peur du premier degré le plus naïf voire du ridicule le plus réjouissant. L’aspect comédie de la pièce de Shakespeare a la nette préférence du cinéaste ; en témoigne son choix de comédien pour incarner Benedict, le héros comique : lui-même. Et c’est dans les plus réjouissants excès d’euphorie que le film prélude : pique-nique champêtre avec récitation amusée de poésie, irruption pétaradante de cavaliers sur musique claironnante, puis ablutions. Des sourires et des fesses. Parce qu’ils se retrouvent, guerriers et courtisanes, seigneurs et demoiselles, courent aux douches, se jettent à la flotte, se pomponnent comme il se doit. Cet incipit résume parfaitement la séduction du film : toute la mise en scène de Branagh, parfois maladroite, souvent excessive, transpire cette exaltation qui nous prive de mesure lorsqu’on sait le temps de la réunion arrivé, cette joie sincère, cet affect purement positif, d’être déraisonnablement heureux à l’idée de retrouver un ami, une amante, un proche ou un parent. Et si la peau des baigneurs est exposée, dès les premières minutes de l’œuvre, de façon si impudique, à l’eau et au soleil italien – pour un film qui ne figure pourtant (presque) pas de scènes de sexe – c’est bien afin de montrer qu’ici la chair est tout sauf triste, que l’amour, et les sentiments qui lui sont affiliés, sont ce que le long-métrage va célébrer avec un zèle communicateur.
Pas le temps de reprendre son souffle : Branagh fourmille d’idées pour que le spectacle soit toujours plus intense, plus drôle. Éclairé comme si deux soleils au lieu d’un dardaient sur les décors, le film exalte à chaque instant les couleurs pastel de la Toscane. Le choix des acteurs – tous beaux et gracieusement habillés – réjouit : le réalisateur réunit la fine fleur de ce que Hollywood et le théâtre anglais peuvent produire de meilleur. Ne s’arrêtant pas là, il s’amuse aussi de ce que certaines conventions théâtrales peuvent provoquer d’incongru au cinéma. Ainsi, bien avant Bridgeton, et pour une raison sans doute moins militante qu’uniquement facétieuse, Branagh dirige un acteur blanc (Keanu Reeves) et un acteur noir (Denzel Washington) pour jouer des frères. Il nous fait sourire lorsqu’un simple masque de carnaval cachant à peine une moitié de visage rend impossible à un personnage d’en reconnaître un autre.
Apogée de cabotinage et de comique visuel, les deux séquences où Don Pedro et Léonato conspirent pour pousser Benedict et Béatrice l’un vers l’autres provoquent les éclats de rires en cascade. Branagh se montre particulièrement malicieux dans son utilisation des décors et des profondeurs de champ – les percées de perspectives offertes par les pins permettent de faire habiter dans un même plan les menteurs goguenards et leur dindon pris au piège dans un jeu récréatif de cache-cache et de fausses piste aussi bien verbal que physique. L’utilisation judicieuse d’accessoires (une chaise longue récalcitrante pour Benedict, une balançoire pour Béatrice) achèvent ce grand moment de drôlerie kitsch et outrancier.
Loin de n’opter que pour le comique pur, l’acteur-réalisateur s’autorise plusieurs interludes musicaux, allègres saillies lyriques, où l’on jouit dans leur durée de belles chansons solaires. Pas juste un accompagnement mélodique du récit, ces scènes sont des pauses dans la narration et, s’encombrant à peine d’une explication diégétique (on y brise presque le quatrième mur, un peu comme la batterie dans Birdman), Kenneth Branagh filme dans des plans pleins d’épate le chanteur et ses instrumentistes.
Contre-coup de ce talent contagieux pour la mise en scène du bonheur, Branagh se montre bien moins doué lorsque l’histoire se préoccupe de sentiments tristes et amers : l’intrigue du couple romantique formé par Héro et Claudio. La grandiloquence récréative de la direction d’acteurs se meut lors des séquences de déceptions et de trahisons en un pathos outrancier. La mise en scène du cinéaste devient étrangement statique et les séquences semblent s’étirer inutilement, comme si Branagh lui-même ne savaient que faire de ces atermoiements qu’il peine à anoblir, auxquels il ne parvient jamais à donner une apparence autre qu’adolescente et gauche. Seules les séquences musicales, présentes, dans cette partie tragique, dans une version nocturne et élégiaque, échappent au gâchis.
Heureusement, ces scènes sont, au cœur d’un film d’une heure et demie, réduites à leur portion congrue, et – dans une adéquation troublante de ce que raconte le film et de ce qui fait le succès de sa mise en scène – c’est l’arrivée d’un nouveau personnage grotesque et bouffon (truculent Michael Keaton) qui sauve la mise des héros et nous de notre ennui (de courte durée). Le film se termine comme il avait commencé, dans une ronde joyeuse et excessive, un dithyrambe diurne, un hymne à l’amour et surtout à la joie.
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