Le crime était presque parfait
Le 2 juillet 2014
Du noir, du très noir, l’un des précurseurs du genre et sans l’ombre d’un doute l’un des tous meilleurs.
- Réalisateur : Billy Wilder
- Acteurs : Edward G. Robinson, Barbara Stanwyck, Fred MacMurray, Porter Hall, Jean Heather
- Genre : Drame, Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Carlotta Films
- Durée : 1h47mn
- Titre original : Double Indemnity
- Date de sortie : 24 avril 1944
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Si Billy Wilder, qui signe là son premier grand film américain, n’a pas inventé le film noir, genre considéré à l’époque comme mineur et sans grand intérêt, il lui a offert ses lettres de noblesse. Moins ampoulé et plus accessible que Le Faucon maltais et The Big Sleep, plus orientés dans la pure veine des histoires de « privé », Assurance sur la mort s’est très vite imposé comme la nouvelle référence d’un genre cinématographique en accord avec l’idée de transposer à l’écran l’état moribond d’une société américaine de plus en plus viciée et désabusée. Mainte fois copié, jamais égalé, un film intelligent, vif, sulfureux à souhait, servi par une atmosphère délicieusement vénéneuse, des dialogues percutants et une interprétation sans faille. Du grand art.
L’argument : Walter Neff, un employé d’une compagnie d’assurances, tombe amoureux de sa cliente et échafaude avec elle un plan pour supprimer le mari encombrant et ainsi partager avec elle l’assurance-vie de ce dernier.
Le film : Considéré par beaucoup comme le premier et le plus abouti du genre noir, il n’est pas étonnant que Woody Allen, qui s’en ait beaucoup inspiré pour Match Point et Le rêve de Cassandre ait qualifié Double Indemnity de « plus grand film jamais tourné ». Idem pour un certain Alfred Hitchcock, immense admirateur du travail de Wilder, qui alla jusqu’à faire publier une affiche pour la sortie du film sur laquelle on pouvait lire : « Depuis Assurance sur la mort, les deux mots les plus importants du cinéma sont Billy Wilder. » Comment Wilder, alors plus connu pour son travail de scénariste que pour ses talents de réalisateur, aurait-il pu rêver d’un plus bel hommage ?
Si Wilder parvient à convaincre Barbara Stanwyck, la star la mieux payée de l’époque, de jouer le rôle de la femme fatale (il aurait dit pour la convaincre la célèbre phrase : Êtes-vous une actrice ou une souris ? ») et Edward G. Robinson de troquer son costume de gangster contre des fripes d’assureur suspicieux obsédé par la traque à l’arnaque, Fred Mac Murray n’était pas son premier choix. C’est vers Georges Raft, acteur emblématique de l’époque, que son choix s’était d’abord porté, mais celui-ci exigea tellement de changements dans le script que Wilder jugea opportun de l’écarter du film. Un choix judicieux tant Mac Murray, acteur athlétique, séducteur et goguenard, apparaît comme un meurtrier sympathique aux yeux du public. C’est en jouant sur cette ambiguïté, entre attirance et répulsion, que Wilder offre à son film un puissant ancrage dans la société américaine moyenne de l’époque. Qui, en apparence, pouvait être plus éloigné du stéréotype du meurtrier qu’un agent d’assurance et une paisible femme au foyer ? Assurance sur la mort, comme le seront un certain nombre de chefs-d’œuvre signés Wilder, est un film sur l’échec de gens ordinaires sautant à pied joint vers un destin funeste dont ils connaissent déjà l’issue.
Sunset Boulevard ou Le poison -pour lequel le réalisateur remporta l’oscar du meilleur film l’année suivante- ne feront que confirmer la volonté de Wilder de travailler en profondeur sur cette Amérique dévoyée en proie à un mal-être profond. Coscénarisé par Wilder lui-même dans une ambiance électrique -la collaboration avec Raymond Chandler, l’auteur du Facteur sonne toujours deux fois, fut éreintante pour les deux hommes- Assurance sur la mort jouit d’une narration à la première personne en forme de confession où le meurtrier avoue dès le début sa culpabilité. Et pourtant, le réalisateur réussit le tour de force de garder le suspense quasi intact, impliquant sans cesse le spectateur au cœur de la machination. Jouant avec subtilité sur les contrastes entre noirs et blancs et composant des clairs obscurs de toute beauté laissant filtrer la lumière blafarde du dehors par les stores mi-clos, Wilder nous montre ses personnages comme autant de silhouettes évanescentes susceptibles de disparaître à tout moment, engloutis par un noir absolu. Seuls les yeux étincelants de fureur de Barbara Stanwyck surgissant d’outre noir pour savourer le meurtre de son mari recèlent encore une lueur de vie. Eros et Tanathos, encore, toujours, éternel paradoxe. La seule issue pour ses personnages qui se sont laissés corrompre par un mal indicible réside dans la folie, folie meurtrière certes, mais peut-être aussi irrépressible envie de liberté dans un monde où la routine semble avoir pris le pas sur la vie elle-même. Un film majeur, saisissant de bout en bout, hitchcockien à bien des égards et bourré de sous-entendus érotisés qui n’en finit pas de surprendre et a su trouver des chemins de traverse pour passer les censeurs et contourner le fameux code Hayes. Le tout sur une partition en forme de requiem étrangement envoûtant fait maison par le génial Miklós Rózsa.
La critique : ICI
LE TEST BLU RAY
Les suppléments :
Outre le commentaire un peu barbant de l’historien du cinéma Nick Redman et du scénariste Lem Dobbs (Dark City, L’Anglais) déroulé sur l’intégralité du film, cette édition propose deux petits documentaires qui valent leur pesant de biscuits Cracker Jack :
*Les ombres du suspense (38 mn) propose de nombreuses anecdotes sur le film et cherche à expliquer l’essence du genre noir. Assez enrichissant notamment dans sa volonté de recontextualiser le film dans une époque où les américains en ont assez des standards hollywoodiens ultraformatés, de plus en plus désireux que le cinéma prenne à bras le corps une certaine réalité quotidienne. Avec les interventions d’Eddie Muler, William Friedkin et James Elroy, qui reviennent également sur les difficultés d’adaptation du roman à l’écran et la désastreuse mais fructueuse collaboration entre Wilder et Chandler.
*La dernière cigarette (35 mn) : Un voyage au cœur de la création pour comprendre les motivations personnelles et artistiques de Billy Wilder, qui choisit non seulement de changer la fin du roman pour les besoins du film, mais aussi et surtout de couper au montage la scène finale initialement prévue où l’antihéros pénétrait dans la chambre à gaz sous les yeux de son collègue et ami de toujours. Hypothèse intéressante : en fumant sa dernière cigarette dans un lieu qu’il a choisi pour mourir, Neff accède enfin à une sorte de liberté suprême, et s’offre ainsi une véritable assurance contre la mort !
L’image :
Une qualité d’image nickel chrome pour un film de 1944. Un grand chapeau aux restaurateurs qui ont abattu un boulot monstre pour un résultat étincelant de beauté qui redonne au noir et blanc toute son intensité. La précision dans les détails est vraiment remarquable, les noirs profonds, les effets de lumière altérée extraordinaires et il n’y a presque pas de grain. De plus, la profondeur de champ, visible dès la première scène du film où la caméra subjective, suivant le regard de Neef, embrasse le gouffre béant qu’il surplombe, est vertigineuse, comme si l’on assistait à une vision hallucinée. Nous n’en attendions pas moins de la part de Carlotta, déjà responsables de la réédition d’un autre cador du genre : En quatrième vitesse de Robert Aldrich et de Fedora, d’un certain... Billy Wilder !
Le son :
Le Master Haute Définition offre une qualité d’écoute tout à fait remarquable avec des dialogues fluides et cristallins, des basses puissantes pour apprécier à sa juste valeur la musique de Rózsa et un très bon mixage. Ceci vaut bien sûr pour la VO.
La VF, elle, propose des doublages assez calamiteux, voire risibles surtout pour la voix de Neff et des dialogues complètement étouffés, si bien que certains passages sont à peine audibles. Dommage. On vous conseille en tout cas de monter à fond le volume de votre téléviseur, si vous souhaitez tout de même voir cette version.
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