Le 1er juin 2023
Critique féroce du système médical russe tout autant que chronique intimiste attachante, le film confirme le talent d’un metteur en scène trop peu connu en France.


- Réalisateur : Boris Khlebnikov
- Acteurs : Alexander Yatsenko, Irina Gorbacheva, Nikolay Shraiber, Sergey Nasedkin, Maxim Lagashkin
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Allemand, Russe, Finlandais
- Distributeur : Les Valseurs
- Durée : 1h56mn
- Titre original : Arrhythmia
- Date de sortie : 1er août 2018
- Festival : Festival d’Arras, Festival des Arcs

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Résumé : Katia et Oleg sont un couple d’urgentistes en Russie. Oleg est brillant, mais son métier l’absorbe. Confronté chaque jour à des cas difficiles, l’alcool l’aide à décompresser. Katia ne se retrouve plus dans cette relation. À l’hôpital, un nouveau directeur applique des réformes au service de la rentabilité. En réaction, Oleg s’affranchit de toute limite et l’équilibre du couple vacille encore plus.
Critique : Aucun film de Boris Khlebnikov n’avait été distribué en France depuis Retour à Koktebel, le premier long métrage qui l’avait révélé à la Semaine de la Critique, coréalisé avec Akeksei Popogrebsky. Loin du style contemplatif de cette œuvre à la tonalité tarkovskienne, Arythmie épouse une forme plus consensuelle tout en étant doté d’un scénario ambitieux, mêlant critique sociale et chronique sentimentale. Le film s’inscrit dans la mouvance d’œuvres ayant pointé du doigt les failles de la société russe, à l’instar du Disciple de Kirill Serebrennikov ou Faute d’amour d’Andreï Zviaguintsev. En l’occurrence, les dysfonctionnements du nouveau système de santé sont mis en exergue, comme cela avait été le cas (en mode plus implicite) dans Zoologie d’Ivan I. Tverdovsky. Le réalisateur et sa coscénariste Natalia Meshchaninova sont percutants dans la dénonciation de réformes ultralibérales menées tout en gardant le poids d’une bureaucratie héritée de l’ère soviétique. Ainsi la norme devient l’application rigide de la « règle des 20 », une équipe d’urgentistes devant traiter en moins de vingt minutes un cas de secours médical et étant sommée de réaliser vingt interventions quotidiennes, tout en obéissant docilement à un coordinateur chargé de notifier tous leurs faits et gestes.
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De l’organisation scientifique du travail menée sans prise en compte du facteur humain, les coupes budgétaires s’effectuant au détriment de la santé des patients. En ce sens, Arythmie se rapproche de la veine pamphlétaire de Moi, Daniel Blake de Ken Loach, auquel on pourra penser, ne serait-ce que par l’humour absurde qui jaillit de certaines séquences (le secours suite à une bagarre qui tourne mal un soir de Nouvel an). Mais par la force de son montage et son rythme haletant, l’œuvre de Boris Khlebnikov fait aussi écho à La Mort de Dante Lazarescu de Cristi Puiu, sublime et glaçante incursion dans le milieu des urgences médicales de Bucarest. Loin de faire de son personnage principal un héros positif tentant de lutter contre un système injuste, le cinéaste a créé avec Oleg une figure ambigüe, homme faible et puéril dans sa vie privée, bougon et peu coopératif dans son environnement professionnel, dont les principes moraux sont mis à mal par un règlement inadapté qu’il n’hésitera pas à enfreindre, à l’instar du policier danois dans le récent The Guilty de Gustav Möller.
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Refusant d’être infantilisé et privé d’initiatives par des managers opportunistes occultant la réalité du terrain, il agira par des réactions imprévisibles, souvent sous le joug de l’affect. Cet être borderline (qu’incarne à la perfection Alexander Yatsenko) fait d’ailleurs la jonction avec l’autre volet du film, chronique d’une séparation amoureuse qui n’est en rien une simple digression dans la narration. Au fur et à mesure qu’Oleg cumule les problèmes en tant que médecin urgentiste, la désagrégation du couple qu’il forme avec Katia (gracieuse Irina Gorbacheva) ne fait qu’accentuer son mal-être : ce « second film » dans Arythmie est traité avec finesse et sensibilité et emprunte également un humour décalé (la demande de rupture par SMS à l’occasion d’un repas chez les beaux-parents). « Je pense que la comédie est l’une des meilleures manières de dépeindre la réalité. Lorsqu’une personne sourit et plaisante, cela veut dire qu’elle est très détendue. Je crois que quelqu’un doté d’ironie et de sarcasme livre sa personnalité plus en nuance. Si l’on fait un usage excessif d’une rhétorique sérieuse et moralisatrice, l’acteur devient binaire et ne délivre qu’un objectif fonctionnel à l’auteur », a déclaré le réalisateur. La réussite de cette « chronique médicale et sentimentale » nous donne envie de découvrir ses autres longs métrages.