Le 18 mars 2021
Sophie Desrape met en scène une reconstitution audacieuse et très bien écrite, du mythe d’Antigone dans un Canada étranglé par ses contradictions, comme un hymne à la jeunesse et une invitation à la liberté.
- Réalisateur : Sophie Deraspe
- Acteurs : Paul Doucet, Nahéma Ricci, Hakim Brahimi, Rawad El-Zein, Nour Belkhiria
- Genre : Drame
- Nationalité : Canadien
- Distributeur : Ligne 7
- Durée : 1h49mn
- Date télé : 18 mars 2021 20:40
- Chaîne : OCS City
- Date de sortie : 2 septembre 2020
Résumé : Antigone est une adolescente brillante au parcours sans accroc. En aidant son frère à s’évader de prison, elle agit au nom de sa propre justice, celle de l’amour et la solidarité. Désormais en marge de la loi des hommes, Antigone devient l’héroïne de toute une génération et pour les autorités, le symbole d’une rébellion à canaliser...
Critique : Il fallait oser baptiser des noms issus du célèbre mythe de Sophocle Antigone les personnages de cette famille, réfugiée d’Algérie, vivant à Montréal. On ne s’attaque pas à un tel modèle théâtral sans prendre le risque du pastiche grossier. Mais cette Antigone-là, aux yeux immenses troués de bleu, s’affirme comme une combattante politique dans un pays développé, le Canada, pourtant souvent valorisé pour sa politique migratoire attractive, qui cultive l’art terrible de la discrimination et de la violence policière. On est rassuré, qu’enfin ce triste témoignage ne relève pas du seul apanage de la France, et que d’autres Misérables, hélas, s’égrènent dans des banlieues sans âme, où la plupart des familles et des jeunes tentent de se fondre sans colère au modèle démocratique qu’ils respectent. Car à chaque fois, on assiste au même discours, celui des migrants qui s’excusent de gêner, qui n’ont de cesse de remercier la société d’accueil, alors que l’injustice et la honte du pays qui leur tend les mains les précipite dans la pauvreté.
- Copyright Ligne 7
Antigone prend les armes. Elle se fait couper les cheveux. Elle se fait tatouer les bras de symboles de guerre. Son petit frère vient d’être injustement arrêté par la police qui a sauvagement assassiné l’aîné de la famille. Le plus jeune des enfants est menacé d’être expulsé vers son pays d’origine, l’Algérie, et la seule force qui lui reste est de combattre contre l’ordre. En quelque sorte, Antigone légitime une colère éthique, une forme de rébellion contre la loi et la règle quand ces dernières sont injustes. Le film pose de vraies questions, particulièrement lorsqu’il s’agit de personnes exilées, recueillies au titre de l’asile politique ou économique, qu’on voudrait réduire à leur statut et à un silence de reconnaissance. Antigone prend les armes pour sortir son frère de prison. Surtout, elle les prend pour procéder à un échange de son frère avec elle, lors d’une visite au parloir.
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Les mots ont un sens. "Expulser" se dit en canadien "déporter". Le mythe de Sophocle l’illustre dans une déclinaison contemporaine, où la colère de l’héroïne contre la tyrannie du pouvoir est tournée contre le sort réservé aux gens de peu et aux migrants. Le cinéma canadien s’attache souvent à parler des familles. Mais le cinéma politique, militant, est plus rare. Sophie Deraspe, qui est l’une des plus brillantes cinéaste canadiennes du moment, joue avec les frontières du bien et du mal. Son personnage féminin principal se démarque des figures habituelles du jeune caïd de banlieue. En réalité, les femmes honorent la dimension politique du film, à commencer par la grand-mère qui a fui l’Algérie avec ses petits-enfants, au moment de la mort des parents. Elle a tout perdu : son pays, ses enfants, son honneur. Même un exposé en classe sur le parcours d’exil et la perte de ses parents ne répare pas des préjudices brutaux perpétrés contre des femmes et des hommes dans le monde. La seule réparation possible demeure le fait de trouver un havre de paix qui fait de la justice et de la sécurité le rempart contre la barbarie.
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Mais Sophie Desrape ne se contente pas de mettre dos à dos le bien et le mal. Elle brouille les pistes, en mettant en scène des personnages équivoques et complexes. Elle oppose les jeunes qui regardent le monde à travers leurs portables aux adultes qui tentent de préserver un système social donné. Les temporalités se mélangent et les références à Sophocle s’immiscent dans les décors. La réalisatrice se demande si le détournement de la loi peut être considéré comme légitime. Mais la démocratie d’aujourd’hui emprunte d’autres chemins d’expression et de rébellion comme les portables ou l’Internet, là où les autorités perpétuent les processus d’intimidation pour parvenir à leurs fins. Ironie du sort quand la jeune héroïne qui décide de plaider coupable, se voit opposer par la justice l’obligation de recourir à un avocat pour se défendre, comme si la revendication de sa culpabilité était inaudible. Sophie Deraspe détourne les évidences du récit quand le pire ennemi de la vérité se niche dans les images et le cinéma. Cette "saintement criminelle", pour reprendre Sophocle, revisite les codes de la fiction et de la norme pour notre plus grand plaisir.
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Antigone perpétue la tradition théâtrale à travers la jeune comédienne, Nahéma Ricci. Le film n’a pas peur des excès et des quiproquos. L’important est de revisiter un mythe à l’aune des jeunes gens de toutes les origines et toutes les classes sociales, qui fondent l’avenir du Canada. Les dialogues sont très lettrés, très référencés. Ils sont portés par des comédiens intègres et authentiques qui incarnent avec passion ce combat entre la loi des cœurs et la loi des hommes, avec justesse et vérité.
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Nathou LaLa 10 avril 2020
Antigone - la critique du film
J’ai beaucoup aimer ce film - L’histoire est prenante - Les personnages sont attachants - On est directement dans le chœur du sujet, et l’action est omniprésente - Je recommande
camarade nabksy 11 avril 2020
Antigone - la critique du film
Que serais-tu prête à faire par amour ?
Aurais-tu le courage d’écouter ce que ton cœur te dit ?
Suite à une bavure policière, Antigone perd ses deux grands frères.
Le premier meurt et le deuxième est incarcéré et menacé d’expulsion.
Armée de tout son courage, elle élabore un plan afin de le remplacer en prison.
Elle espère naïvement une clémence de la justice à l’égard de l’élève modèle et mineure qu’elle est.
Seulement l’autorité aime faire de ceux qui osent la contester des exemples à ne pas suivre.
Antigone est donc forcée de choisir entre le cœur et la raison.
D’un côté, abandonner sa famille, éviter une peine de prison et éventuellement obtenir sa citoyenneté canadienne.
De l’autre, suivre son cœur et renoncer aux brillantes études et un avenir tout tracé, inespéré à son arrivée au Canada.
Une figure mythique face à un dilemme Cornélien, placée au cœur du problème constant de l’intégration des minorités dont les violences policières et l’inefficacité du système judiciaire illustrent l’échec criant.
Voilà le cocktail que nous propose Sophie Deraspe dans cette adaptation très libre du mythe de la tragédie grecque.
Hormis les noms des membres de la famille principale et une affiche annonçant “Œdipe roi” sur le bus servant à l’évasion, le film ne s’obstine pas à rester fidèle à Sophocle. Pour le reste il s’agit bien d’un drame contemporain, fleurtant avec la tragédie, en renvoyant une image peu flatteuse de nos sociétés occidentales modernes dans qui ont toujours plus de difficulté à traiter la différence.
Le film s’installe péniblement, notamment la faute à un casting fragile, jusqu’à la confidence d’Antigone (“ça me demande tout mon courage”) quand elle se coupe les cheveux. Nahema Ricci nous montre ici que son premier grand rôle est annonciateur d’une pléthore à suivre. La sobriété, à la limite de la pudeur, de son interprétation transparaît dès la scène de l’exposé et nous emporte en même temps que Hémon, son amoureux. Le plus impressionnant chez elle, au-delà de son regard à qui on donnerait le bon Dieu sans confession, c’est la clarté avec laquelle elle réalise ses choix de jeu si subtils. Rachida Oussaada qui interprète sa grand-mère, Ménécée, nous fait étalage des mêmes qualités nous entraînant à chanter avec elle. Elle ne nous force pas à la plaindre, ni à pleurer pour elle, à la différence de la sœur Ismène et du frère Polynice, tous deux aussi difficiles à supporter comme acteurs et que comme personnages.
La machine est lancée et elle n’a pas contente de trouver une jeune femme lui tenir tête. Elle est déterminée à détruire sa détermination et/ou son amour, usant de menace (“Tu t’embarques dans quelque chose pas mal plus gros que tu penses ma petite fille”) ou autre chantage (“Vous la voulez votre citoyenneté ?).
Antigone ne craque pas parce qu’elle ne craint ni la loi des hommes ni le jugement des vivants.
Ces derniers n’ont rien à lui offrir, ne pouvant rivaliser avec ses parents morts dont seul l’approbation compte.
Jusque-là, Antigone incarnait l’enfant modèle du bon immigré, concept si souvent décrié notamment par le fer de lance Nikesh Shukla. Elle est intégrée dans une société qui ne l’est pas. Ce qui rend l’intégration de cette première de classe si fragile. La société attend d’elle une assimilation totale et un renoncement à son identité d’origine. C’est dans cette identité que germe l’idée du sacrifice par amour pour sa famille, valeur dépassée en Occident. La figure de l’oracle aveugle dans son rêve lui rappelle de penser à elle, jouant le rôle d’écho subconscient du matraquage dont elle est victime. Renie-toi. Sois normale. Voilà entre autres ce qu’il est demandé à Antigone. Voilà ce qui la conduit à une aliénation similaire à celle qui ouvra jadis à ses frères la possibilité de la délinquance. Victimes de l’échec des politiques d’intégration, ils ont, tout de même, choisi de faire partie d’un gang, les Habibis. Ce mot affectueux en arabe sert d’étendard à ces jeunes d’ici ou d’ailleurs mais tous déracinés, géographiquement et/ou socialement. Ils choisissent et entérinent ainsi leur propre ségrégation.
À l’inverse d’Ismène dont la relation avec sa petite sœur cristallise le débat biaisé de l’assimilation, trop souvent présenté à tort sous les habits de l’intégration. C’est le choix que fait Ismène parce qu’elle “veut être normale”. Pour cela elle aura le droit à sa nationalité qu’elle pourra arborer comme ses cheveux décolorés et lissés. Mais peut-on pour autant la juger ? Quand elle est flouée par la définition même de ce qui est attendue d’elle ? Une dictature de la norme qui ne laisserait pas de place à la différence. C’est ce que laissent entendre les différents agents du système que défie Antigone.
Face à ce mur qui fait mine de ne pas la comprendre, la bêtise maladive de son frère, la lâcheté de sa sœur… Antigone tient son cap, poussée par les bourrasques d’amour chanté de sa grand-mère et le soutien inconditionnel d’une jeunesse qui voit en elle une nouvelle égérie de sa rébellion permanente et nécessaire. Une jeunesse qui n’a pas encore perdu son cœur comme l’affirme un certain prix Nobel de littérature. Antigone tient son cap telle une Greta ou une Malala (pour nommer un autre prix Nobel) dont l’image et la cause se propage, rouge comme le sang d’une hémophile, sur les médias sociaux et les murs du comté grâce aux stencils et autres graffitis.
C’est ainsi que Sophie Deraspe réussit à tisser ces différents thèmes devant sa caméra qu’elle opère elle-même avec brio, assurant sa propre photographie. Elle laisse également la voix de la jeunesse en colère s’exprimer avec des images filmées en portrait à l’aide de téléphone cellulaire. Une mise en abîme qui lui permet de se montrer nous montrer son adhésion à la cause de son héroïne. Le mythe épouse le fait divers avec succès pour un mariage de cœur et de raison. Le conflit est omni présent. Tout en nous faisant rejoindre le camp d’Antigone, Deraspe nous fait douter du caractère judicieux de son choix. Parfois on est presque forcé de vouloir lui faire entendre raison et de l’admirer pour continuer d’écouter son cœur. En effet le choix qu’elle fera au final ne peut être lu et interprété qu’à travers le spectre de l’amour, potentiellement hors de portée de la raison et de l’égoïsme qu’elle invite insidieusement dans nos rapports humains en occident.
L’histoire d’un “underdog” qui dépassent ses limitations pour, à la fin, gagner, représente 99% des histoires qu’on aime se raconter. Antigone est bien une “underdog”, du fait de son statut de réfugié. Mais c’est son atout le plus fort, son cœur, qui la fera perdre, contrainte de rentrer avec sa famille en Algérie. La grande perdante de cette histoire est la société québécoise qui rejette une de ses enfants (adoptée) les plus brillantes et prometteuses. Et si Antigone avait en réalité gagné ? En ne se trahissant pas, en restant fidèle à son cœur et à ses valeurs ? La petite fille de 3 ans qu’elle était, pourrait-elle se reconnaître en elle ? Ou bien est-ce elle qu’elle a trahi ?
balcon 13 avril 2020
Antigone - la critique du film
Antigone, jeune fille immigrée de 17 ans est arrivée au Québec à 3 ans avec sa grand mère, ses 2 frères et sa sœur, suite à l’assassinat de ses parents en Kabylie.Elle devient une jeune fille brillante à l’école et amoureuse d’Hémon . Survient la mort d’un de ses frères par bavure policière et arrestation de l’autre pour agression envers un policier.craignant son expulsion, Antigone organise son évasion et se retrouve incarcérée. Elle va devenir une icône de la jeunesse dans son sacrifice d’amour pour ses frères.
C’est un grand film sensible sur les problèmes d’immigration , sur la révolte de la jeunesse et sur la solidarité familiale.
L’actrice principale, interprétant Antigone, apporte de la profondeur, de la justesse pour son personnage. son jeu est intense, sobre sans exagération ; la grand-mère est touchante surtout lorsqu’elle vient chanter devant la prison.
L’incursion de mini-vidéos de réseaux sociaux rend le film très actuel et rappelle toutes les manifestations de jeunes actuelles si fortes.
Antigone et sa sœur illustrent parfaitement les différences d’intégration dans une nouvelle société, ou l’une recherche la "vie normale" et l’autre sa liberté.
C’est une analyse fine de cette jeunesse qui prône le changement par la solidarité entre tous et l’amour.
Emmanou 14 avril 2020
Antigone - la critique du film
C’est une histoire qui vous tient à cœur dès le début.On se projette dans la vie de ses personnages.On se remet en questions et on s’en pose de plus en plus.
C’est un film poignant qui nous bouleverse quelque soit nos origines, nos expériences ou tout simplement nos vies..
Les acteurs reflètent cette vérité qui dérange et qui fait mal.
Merci aux acteurs.
Philippe Gouthéraud 16 avril 2020
Antigone - la critique du film
L’histoire d’une famille d’imigrés qui a fuit la Kabylie pour se rendre au Québec. Ils sont intégrés mais n’ont toujours pas de papiers. La plus jeune, arrivée à l’âge de 3 ans est d’ailleurs la seule à avoir pris l’accent québecois. Elle vit sa vie de manière plus intégrée que le reste de la famille, encore très attachée à ses souvenirs. Pendant un contrôle de police l’aîné est tué par un policier (bavure), le deuxième garçon se rue sur le policier qui a tiré, ce qui lui vaudra une incarcération et un emprisonnement. Il risque d’être reconduit dans son pays d’origine. La jeune sœur ne l’accepte pas et sortir son frère de cette prison. C’est un film très bien réalisé. Les plans, les acteurs, rendent le récit très crédible. Je recommande sa vision pour les plus jeunes.
Michel BLAISE 9 mai 2020
Antigone - la critique du film
J avais signalé l’impossibilité d’attribuer une note inférieure à 4. L’on m’avait répondu, il y a plusieurs semaines, qu’il s’agissait d’un problème technique et que l’on reviendrait vers moi afin que je puisse la publier.
Je suis sans nouvelle.
Le film ne mérite pas, à mon sens, une note supérieure à 3 étoiles pour des raisons que j’ai motivées dans une longue et circonstanciée critique publiée sur d’autres réseaux sociaux et dans mon blog.
Je ne la publie donc pas ici et supprimerai mon compte prochainement.
Michel BLAISE.
zaza210 29 juin 2020
Antigone - la critique du film
Film très prenant, humain. Jusqu’à quel point serions-nous prêt à aller par amour ? Telle est la question de ce film. La vie et réussite future est elle plus importante que nos liens familiaux ? Ces liens sont ils des forces ou des liens nous empêchant de progresser ? Telle est la question de ce magnifique film.
lydieguillaume 1er juillet 2020
Antigone - la critique du film
Ce film est une modernisation intéressante du mythe originel. J’aime assez les films canadiens car on aborde les sujets de société de façon plus dépassionnés qu’en France. On est dans la compréhension des mécanismes, des sentiments et non dans des leçons morales utopiques ou culpabilisantes. L’actrice principale apporte beaucoup de puissance au film.
Hinata Shimuro 31 août 2020
Antigone - la critique du film
Ce genre de film est vraiment très tentant ! C’est le type d’histoire qui se rapporte à des situations vraies.Et ensuite elle nous permet de se focaliser sur notre histoire à nous, se demander si on aurait pu faire mieux à la place de la fille.
Hinata Shimuro de https://notre-assistant-virtuel-pas-cher.com/
laura 6 octobre 2020
Antigone - la critique du film
Bon film à voir
Club aVoir-aLire 18 novembre 2020
Antigone - la critique du film
Avis de la lectrice Germania63 :
" Antigone est un film très riche émotionnellement. Le personnage principal, jeune fille d’origine algérienne venue au Canada avec sa grand-mère et ses frères à la suite de l’assassinat de ses parents, se trouve confrontée à un nouveau drame : un de ses frères est accusé de méfaits qu’il n’a pas commis et mis en prison, tandis que l’aîné est tué par des policiers trop prompts à jouer de la gâchette. Jusque là élève modèle et fierté de sa famille, Antigone décide de tout laisser tomber pour sauver son frère de la prison. Elle va adopter les codes des petits malfrats des quartiers, se faire arrêter après avoir fait sortir son frère de prison et vouloir se défendre seule face à la justice qu’elle estime injuste. Révoltée, ne voulant l’aide de personne, elle se heurte à des murs. Puis, malgré elle, des gens de justice vont vouloir l’aider, elle la petite-fille d’émigrée, mais la lutte sera toujours inégale. Sa grand-mère finit par refuser de vivre plus longtemps au Canada, et Antigone repartira avec elle, et son petit frère, libre, mais elle va peut-être au-devant d’un destin difficile aussi ds son pays d’origine. Les thèmes abordés, la justice sociale, les émigrés et l’intégration, la place des femmes dans cette lutte pour l’égalité, la reconnaissance de la vérité, des valeurs de chacun, tout cela sonne juste et vrai, quel que soit le pays. L’actrice, Nahéma Ricci, est souvent bouleversante. Voilà un film formidable, re-lecture d’un mythe ancien mais ô combien d’actualité."
MichelBlaise 18 novembre 2020
Antigone - la critique du film
C’est la « relecture » de la célèbre tragédie de Sophocle - plus largement de la légende intemporelle de la mythologie grecque –, datée de 441 Av JC, que propose la réalisatrice Sophie Desrape dans le décor québécois.
D’autres s’y sont essayés avant elle, en France aussi, sans triomphe. Le cinéma n’a pas ému au même titre et autant que l’adaptation théâtrale d’Anouilh.
Est-ce à dire que, cette fois-ci, Sophie Desrape nous a convaincus ? Un bref rappel du mythe s’impose :
Créon, respectivement beau-frère, oncle et père d’Œdipe, d’Antigone et d’Hémon – son cousin auquel Antigone offrira finalement sa virginité -, règne et décrète l’interdiction d’ensevelir la dépouille de Polynice pour avoir comploté contre la patrie. Sa dépouille est jetée au pied des murailles. Antigone s’insurge et se rebelle ; elle résiste à la décision inique : l’affront fait à la dépouille de son frère. Elle brave l’interdit, mais un garde la surprend et l’amène devant Créon pour être emmurée vivante.
Retour au film, cette fois-ci, dans une société québécoise - à Montréal - très moderne. Antigone, interprétée par la jeune actrice tunisienne aux yeux bleus aussi perçants que les flèches de Cupidon, étudiante brillante et humaniste, est dans l’expectative de la régularisation de sa situation par les autorités canadiennes.
Afin de sauver son frère, Polynice, qui a tiré sur le policier qui a tué son frère, Etéocle, criminel - le film a le mérite de ne pas passer ce point sous silence (Antigone, dans son combat de fuite en avant dira à son avocat « il a commis des crimes, mais « que » de petits crimes… ») – les réseaux sociaux s’emparent de l’affaire – la contemporanéité oblige - plus particulièrement dans les cités, au moyen essentiellement de la diffusion de vidéos de rap.
Ce qui apparait d’emblée c’est la motivation de l’Antigone de Sophie Desrape qui diverge diamétralement de celle de Sophocle. Une réplique de celle-là en contient toute la substance : « Ce n’est pas le crime que je défends, c’est ma famille » La dimension héroïque universelle d’Antigone s’efface devant celle de la famille et, en définitive, se réduit au seul intérêt d’Antigone » : son cœur contre celui de l’État de droit et de la démocratie québécoise.
Alors effectivement, et comparaison n’est pas raison, l’Antigone de Sophocle combattait l’injustice, celle faite aux droits naturels de l’humanité.
La réalisatrice semble ne pas s’y être trompée, lors d’une scène plus insolite, quand Antigone est interrogée par une psychiatre, Thérésa, où l’on reconnaît le devin Tirésias : « Tu seras emmurée vivante » Antigone au plus profond du rêve et de son inconscient, évoque le sens de son combat et la force qui la détermine : l’héroïsme. Mais, cette brève incidente semble n’être qu’un alibi de la part de la réalisatrice pour feindre de resituer au mythe sa « vérité » historique et intemporelle.
Il est très difficile et osé, à la décharge de Sophie Desrape, de procéder à une telle adaptation cinématographique. Le théâtre permet une restitution toujours plus convaincante de par la proximité et l’immédiateté. Jean Anouilh en est le parfait exemple. Certes, à l’instar de la réalisatrice québécoise, il a abandonné la dimension héroïque et mythique qui habite l’Antigone de Sophocle, mais la pièce respecte l’antique prédécesseur. Nul n’a fait mieux, au cinéma ou au théâtre depuis.
Le film, lui-même, est loin d’être mauvais, mais il ne restitue pas ce que l’on est en droit d’attendre d’une Antigone. Peut-être que l’angle choisi n’a pas été le bon, certainement, pour autant quelques scènes très réussies, que le rythme du film est insuffisant.
Je ne déconseille pas ce film, loin du chef-d’œuvre, il a, cependant, le mérite d’exister ; il faut le voir, mais avec beaucoup d’esprit critique.
Bon film,
Michel