Souvenirs de jeunesse
Le 19 août 2015
L’une des œuvres les plus personnelles de Barbet Schroeder. très honorable, à défaut d’être la plus aboutie.
- Réalisateur : Barbet Schroeder
- Acteurs : Bruno Ganz, Marthe Keller, Max Riemelt , Corinna Kirchhoff, Joel Basman, Marie Leuenberger
- Nationalité : Français, Suisse
- Distributeur : Les Films du Losange
- Date télé : 5 août 2016 22:20
- Chaîne : Canal + Cinéma
- Date de sortie : 19 août 2015
- Festival : Festival de Cannes 2015
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Résumé : Ibiza. Début des années 1990, Jo a vingt ans, vient de Berlin, est musicien et veut faire partie de la révolution électronique qui commence. Pour démarrer, l’idéal serait d’être engagé comme DJ dans le club L’Amnesia. Martha vit seule, face à la mer, depuis quarante ans. Une nuit, Jo frappe à sa porte. La solitude de Martha l’intrigue. Ils deviennent amis alors que les mystères s’accumulent autour d’elle : ce violoncelle dont elle ne joue plus, cette langue allemande qu’elle refuse de parler… Alors que Jo l’entraîne dans le nouveau monde de la musique techno, Martha remet en question ses certitudes…
Critique : Présenté en Séance Spéciale au Festival de Cannes 2015, Amnesia est certainement l’un des films les plus personnels de Barbet Schroeder, même si il est diminué par sa mécanique scénaristique qui anéantit quelque peu l’étrange malaise instillé dans son long incipit.
Dans le cadre idyllique d’Ibiza, versant côte sauvage, Martha (Marthe Keller) mène une vie recluse, sans électricité, dans une petite maison à la décoration rudimentaire qui flotte au dessus de la mer. Sa rencontre avec Jo (Max Riemelt) va agir comme un déclencheur. Elle, qui a passé plus de quarante-cinq ans loin de sa terre natale, se lie d’amitié avec ce jeune DJ, la vingtaine, débarqué d’Allemagne. Et l’Allemagne, c’est justement son pays, celui de la Seconde Guerre mondiale, qu’elle tente d’oublier pour des raisons que nous découvrirons dans la dernière partie du film. De ce passé, semble-t-il douloureux, elle ne veut plus rien entendre, ni les mots gutturaux de cette langue qui lui est hostile, ni le son du violoncelle qui lui rappelle son idylle révolue avec son professeur de musique. Lorsque Jo lui propose de l’emmener au volant de sa Coccinelle (l’invention de la Volkswagen, supervisée par Adolf Hitler, était initialement dénommée « Kraft durch Freude », du nom d’une branche du front de travail nazi) ou lui offre un verre de riesling d’Outre-Rhin, elle les refuse farouchement. Ce malaise est palpable lors de séquences réussies et emplies de mystère (notamment grâce au jeu tout en finesse de Marthe Keller, ironique, espiègle et parfois inquiétante - la séquence en bateau où elle tente de renverser son jeune ami déclenche chez le spectateur des interrogations sur la santé mentale de notre héroïne).
Jo est, quant à lui, venu pour percer dans cet eldorado de la musique techno. Il arrive à Ibiza en compagnie de son agent et d’une jeune femme énigmatique (deux rôles sous-exploités et accessoires) et ne comprend pas les réactions de Martha qui, dans un premier temps, lui cache ses origines (l’anglais est utilisé une majeure partie du film, Hannah Arendt évoquait elle aussi l’adoption de l’anglais comme nouvelle langue en réaction au choc de la découverte des camps en 1945). La rencontre entre ces deux êtres déracinés, tous deux passionnés de musique mais que quelques décennies séparent, va finalement bouleverser leurs vies respectives. Il en va ainsi de ces chocs inattendus, lorsque l’altérité se dévoile à nous et devient contre toute attente le révélateur de notre propre personnalité.
Amnesia est une sorte de pièce de théâtre filmée (unité de lieu – la nature paradisiaque de l’archipel des Baléares - et dont l’intérêt repose essentiellement sur la présence des comédiens) dont les rebondissements finaux se muent en une mécanique figurative trop évidente. La tentation amoureuse qui éclot entre les protagonistes et dont le dénouement laissera un goût amer ressemble à un tour de force scénaristique, comme le traitement de l’arrivée du père de Jo qui agira comme catalyseur de la posture de Martha. Car ce personnage joué par Bruno Ganz n’est pas amnésique mais s’est inventé une nouvelle vie en romançant son histoire. Héroïque, il ne l’a pas été et Martha le mettra violemment face à ses contradictions. Pour le meilleur et pour le pire. Enfin, la peinture que brosse Barbet Schroeder de la jeune scène techno d’Ibiza semble totalement surannée, trouvant son apothéose lors du DJ set de Jo qui est rejoint par Martha, suivi d’un œil circonspect par le patron de la boîte de nuit (des rires déplacés ont alors parcouru la salle cannoise).
Amnesia n’arrive certes pas totalement à ses fins mais il s’en dégage un malaise palpable, notamment grâce aux incroyables performances de Martha Keller et du jeune comédien Max Riemelt, ainsi qu’à une photographie étonnante (Amnesia se revendique comme le premier film européen tourné en 6K) de Luciano Tovoli – le chef opérateur de Dario Argento et de son chef-d’œuvre Suspiria. Nous y retrouvons d’ailleurs l’utilisation si singulière des filtres aux couleurs chaudes lors des séquences d’ouverture et de clôture. Un malaise également ressenti lors de la première heure très subtile, sorte d’esquisse au fusain (l’un des scénariste Peter Steinbach est l’auteur des premiers Heimat, accompagné dans l’écriture par Emilie Bickerton et Susan Hoffman) qui prend souvent le contre-pied de la chute tant attendue.
Pourtant, la subtilité de cette première moitié de film est contrebalancée dans sa dernière, tant les ressorts narratifs sont de l’ordre de la démonstration, du psychanalytique, et s’illustre par un discours un peu trop explicatif sur la culpabilité, la lâcheté et l’amnésie comme réponse à la mémoire des crimes commis (ou que l’on n’a pu empêcher). Une portée symbolique qui tempère le charme du film de Schroeder, dont la structure narrative est à la fois sa force et sa limite : à l’image de l’ambivalente Martha et d’une dernière séquence maladroite, l’alchimie ne prend pas toujours.
Il reste ainsi à la sortie de la salle un goût d’inachevé mais l’impression d’avoir assisté à une introspection troublante de sincérité. Amnesia est d’ailleurs inspiré par les événements de la vie de la propre mère de Barbet Schroeder (le pied-à-terre de Martha est la maison familiale du réalisateur que l’on retrouvait également dans son premier long-métrage More). Un film personnel qui souffre de quelques aspérités, de maladresses conceptuelles mais dont les questions soulevées résonneront encore longtemps dans notre esprit. Amnesia est un film que l’on peut difficilement détester, sans qu’il apparaisse aimable de prime abord, tant son geste est franc et sans équivoque : il s’agit de se réconcilier avec ses démons et son passé, aussi troublé fût-il, pour envisager l’avenir sous de meilleurs auspices.
En complément d’Amnesia, pour parfaire votre connaissance du cinéma de Schroeder et explorer une autre personnalité fascinante et mystérieuse de sa filmographie, on ne saurait trop vous conseiller de découvrir le passionnant documentaire L’avocat de la terreur, consacré à Jacques Vergès. Un parcours ahurissant à travers les luttes et les évènements majeurs qui ont jalonné la carrière de l’avocat et l’Histoire de la fin du XXe siècle. Indispensable !
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