Le 25 juin 2014
- Scénariste : Aurélien Ducoudray>
- Dessinateur : Anlor
- Genre : Drame
- Editeur : Grand Angle
- Famille : BD Franco-belge
- Date de sortie : 1er juin 2014
- Durée : 1
Amère Russie nous ramène en pleine guerre Russie-Tchétchénie, au travers du voyage d’une mère lancée à la recherche de son fils, soldat russe prisonnier des Tchétchènes. Un drame poignant qui nous plonge dans un conflit dont les détails restent assez méconnus du grand public.
Résumé :
Madame Kitaev survit difficilement dans un Moscou hivernal. Elle attend patiemment le retour de son fils Volodia parti faire son service militaire en Tchétchénie. Toute sa vie s’écroule quand elle apprend que la chair de sa chair a été capturée par les Tchétchènes.
Apprenant que Bassaïev, un redoutable chef d’armée Tchétchène, libérera les prisonniers russes que leurs mères viendront réclamer, elle quitte Moscou et, accompagnée seulement de Milyi, le chien de Volodia, elle va traverser l’immense steppe enneigée avec un seul mot d’ordre au cœur : sauver son fils ! Mais partir en quête d’un chef militaire clandestin en plein pays ennemi ne va pas être de tout repos.
Notre avis :
A partir de quelques faits historiques, Ducoudray construit une histoire émouvante. On est tout de suite emporté au côté de cette femme, dont le prénom n’apparaît jamais au cours de ce premier tome. Armé de sa naïveté et de son courage, elle va défier le bon sens et tenter l’impossible pour sauver son petit Volodia. Loin des tranchées, elle traverse un pays ravagé par la guerre, voire même par la guérilla. Les amazones de Bassaïev évoquées dans le titre ont été sources d’inspiration pour l’auteur, mais restent un élément mineur de l’histoire – en tout cas, dans ce premier tome -. C’est là la force de ce récit : s’implanter dans un moment historique mais mettre en avant une aventure humaine, dont on ne sait comment elle se finira. L’Histoire est un cadre pour l’histoire, voilà la réussite de cet album. Au travers des yeux de cette petite mère russe, on découvre l’absurdité, l’horreur de cette guerre mais on saisit vite que c’est l’horreur inhérente à chaque guerre qui est dénoncée ici.
Si l’on s’égare sur cet immense territoire blanc – qui n’a plus rien d’un paradis - on ne se perd jamais dans la narration. Plus cette mère s’enfonce en territoire « ennemi », plus la situation devient dangereuse, jusqu’au cliffhanger de la fin de l’album qui nous laisse dans l’attente de la suite. A mes yeux, dans cette histoire prenante, seul le vol du sac de cette pauvre femme constitue un événement par trop prévisible qui se résout de manière peut-être un peu trop facile et qui ne sert finalement qu’à rajouter un peu de tension dans la scène suivant le vol. En-dehors de cela, c’est un enfer surprenant où vous mettrez les pieds en ouvrant cette BD, un enfer rempli uniquement d’hommes pouvant être tour à tour démons ou anges.
Le personnage de cette mère est totalement attachant. Ce mélange de courage, d’entêtement, de simplicité, d’inconscience lui confère cette force lui permettant de tenir tête même au pire de tous. Certes, elle connaît la peur mais paradoxalement, la crainte qui la hante le plus n’est pas de mourir dans cette épopée, mais de ne pas retrouver son fils.
Grâce à ce petit bout de femme et surtout grâce au chien Milyi, le drame parvient à s’apaiser et à se ponctuer de notes d’humour bienvenues, dont certaines permettent même, en plus, de faire avancer l’histoire.
Mais l’on a forcément conscience que la mort rôde et que ce conte de fées noir pourrait bien virer rapidement, en une case, à la triste farce tragico-absurde. C’est donc les doigts croisés que l’on tourne chaque page de ce premier tome – et on vous assure que cette prouesse physique n’est pas facile – espérant que le pire n’arrive pas. Malheureusement, il n’est jamais loin. A l’inverse de ce fils invisible, fil d’Ariane que la petite mère suit inlassablement. En effet, Volodia qui apparaît enfant au début, pour disparaître ensuite, reste présent par Milyi, son chien, mais aussi par ces photos que Madame Kitaev – car si on ignore son prénom, on peut croiser son nom – montre à qui elle peut pour tenter de le retrouver. Et également grâce à un autre Volodia, Tchétchène lui, que notre mère perdue va croiser.
Amère Russie, entre deux moments de tendresse, nous montre la réalité d’une guerre civile : des soldats lâchés comme des loups, qui doivent survivre, se venger pour faire peur et... survivre plus longtemps. L’illogisme de la guerre revient toujours par un coin détourné. On ne sait plus pourquoi les gens se battent mais si ils ne se battent pas, ils risquent fort de mourir, alors les affrontements éclatent, mortels, honteux, logiques pour les uns, totalement dénués de raison pour d’autres.
Cette belle histoire se conclut par un cahier de huit pages, démêlant le mythe et la réalité sur l’histoire des Femmes Snipers, ces Amazones évoquées dans le titre de ce tome un. L’occasion d’apprendre, de réfléchir sur ces éléments historiques. On se rend compte que ce lourd dossier, fort intéressant par ailleurs, fait ressortir un point clé. Ces Amazones ne sont pas motrices de l’histoire de Madame Kitaev, elles sont un point d’ancrage dans la réalité. Et ce cahier nous rappelle juste le combat menées par ces femmes, pour survivre.
L’occasion aussi de découvrir autour de ces textes, un beau mélange de photos et de dessins, de références bibliographiques pour ceux qui voudraient creuser plus loin.
Point de vue graphique, Anlor réussit avec Brio à nous entraîner dans les situations imaginées par Ducoudray. Son style est vif, ces personnages expressifs, dynamiques et son trait acéré savent faire ressortir la violence d’un regard, la haine d’une pierre qui vole, la surprise d’une explosion.
Ses décors sont réalistes et rendent bien l’atmosphère de ce territoire détruit, pillé par l’envahisseur. Les couleurs sont très belles, froides à l’image de cet hiver qui brouille tout. Notons le beau passage du conte que raconte Madame Kitaev à des enfants Tchétchènes et illustrés comme des vieux tableaux russes, des antiques icônes moyenâgeuses.
Le découpage mélange différents effets : longues cases alternant avec des bandes de deux à trois cases plus classiques, dessins d’un quart à une demi-page, chevauchés parfois par d’autres cases pour augmenter la tension ou encore les belles pages sur fond noir renforçant l’effet d’enfermement en profondeur de la séquence de la cave. En plus de cela, personnages en silhouettes noires sur fond blanc, cases dépourvues de cadres... On pourrait encore creuser et trouver toutes les techniques de la BD qu’Anlor revisite et utilise pour renforcer l’émotion ou l’ambiance d’une situation.
La seule Amertume que laisse cette BD, c’est son sujet difficile. Les temps changent, le petit père des peuples, tyran notoire, a laissé place à une petite mère formidable, remplie d’un amour aveugle pour son unique enfant. Quant à la mère Russie, elle a chassé de son giron maternel ses rejetons pour ne plus laisser qu’un goût bien amer. Même le titre est bien vu.
Amère Russie vous promet un formidable voyage, une émotion à fleur de peau au travers d’une page douloureuse de l’Histoire, de celles qui s’écrivent, malheureusement, avec le sang versé par les innocents.
Galerie photos
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