Le 11 août 2020
- Dessinateur : Katsuhiro Otomo
- Traducteur : Djamel Rabahi
- Collection : Akira
- Genre : Science-Fiction
- Famille : Manga
- Editeur : Glénat
À l’occasion de la nouvelle édition d’Akira chez Glénat, nous revenons sur l’histoire éditoriale et l’impact en France du chef-d’œuvre d’Otomo.
Résumé :
En France comme au Japon, Akira est aujourd’hui unanimement considéré comme un incontournable du manga contemporain. Cette série post-apocalyptique de 2 200 pages confère à son auteur, Katsuhiro Otomo (né en 1954), un statut particulier dans le paysage de la bande dessinée japonaise. Otomo est devenu en 2015 le premier japonais à être consacré Grand Prix du festival de la bande dessinée d’Angoulême. Or, la publication française d’ Akira a connu une histoire particulière : entre 1990 et 2019, il aura fallu attendre 29 ans pour que l’intégralité de la saga soit éditée dans une version fidèle à l’originale.
Akira est rapidement devenu un mythe en France. Les qualités de ce manga – et de son adaptation animée – y sont bien évidemment pour beaucoup. Mais le « mythe Akira » a également été porté par son éditeur français, Jacques Glénat, dont le discours fut soigneusement relayé par la critique.
- AKIRA © MASH∑ROOM Co., Ltd./ Kodansha Ltd.
Akira , chef-d’œuvre de la science-fiction japonaise
En 1982, le Weekly Young Magazine de l’éditeur japonais Kodansha commande à Katsuhiro Otomo un récit de science-fiction qui devait à l’origine tenir sur environ 200 pages. Le succès rapide de la série et l’élargissement de l’intrigue font finalement d’Akira un récit de plus de 2 200 pages, dont la publication japonaise s’étale jusqu’en 1990. Otomo n’est pas à son coup d’essai dans le genre de la science-fiction lorsqu’il débute Akira. Celui-ci a en effet publié trois ans plus tôt Fireball, une œuvre restée inachevée, et surtout Domû, rêves d’enfants, thriller surnaturel dans lequel Otomo pose les thèmes fondateurs d’Akira.
Akira prend place en 2019, dans la ville futuriste de Néo-Tokyo, créee après la destruction de Tokyo et le déclenchement de la Troisième Guerre mondiale. Néo-Tokyo est une ville sale et corrompue. Des bandes de jeunes loubards livrés à eux-mêmes sillonnent la ville à moto. L’un de ces jeunes, Tetsuo, est blessé après une chute et se fait capturer par l’armée japonaise, qui effectue sur lui une série de tests dans le cadre d’un projet militaire secret. Les amis de Tetsuo, parmi lequel le chef de bande Kaneda, cherchent à comprendre ce qui lui est arrivé. Tetsuo parvient finalement à s’évader, mais les expériences l’ont profondément transformé. Désormais fort d’importants pouvoirs, Tetsuo souhaite mettre la main sur les gangs de junkies et s’oppose à ses anciens amis. Dans le même temps, l’armée cherche à élucider le mystère Akira, un enfant doté de pouvoirs psychiques, dans l’objectif de s’en servir…
Otomo concentre dans Akira les différentes angoisses de la société japonaises : la crainte de la catastrophe atomique, les yakusas, le spectre d’un pouvoir aux mains des militaires… Force est de constater qu’à l’heure de Fukushima, Akira conserve une étonnante actualité. Et Otomo s’avère parfois visionnaire, puisque Akira évoque l’organisation des Jeux Olympiques de Néo-Tokyo en 2020 ! La réalité rejoint ici la fiction.
Succès critique que commercial au Japon, Akira consacre Otomo comme une figure majeure de la bande dessinée nippone. En parallèle du manga, Otomo participe à la réalisation du film d’animation éponyme, sorti en 1988 au Japon et en 1991 en France. Doté d’un budget important pour l’époque, l’anime est une véritable réussite graphique qui contribue à faire d’Akira une œuvre culte. Diffusé dans l’Hexagone en 1991, le dessin animé Akira est contemporain de la « vague manga » qui touche l’Europe.
Akira , déclencheur de la « vague manga » en France ?
Une partie de la critiques de bande dessinée voit dans Akira le principal annonciateur de la « vague manga » en France. Cette assertion quelque peu exagérée est liée au succès critique d’Akira, qui crée un effet loupe sur cette œuvre, et à la communication éditoriale établie a posteriori par Glénat, qui se définit comme un précurseur de l’édition en France de mangas avec un slogan resté célèbre : « Le manga, c’est Glénat ».
Plusieurs éditeurs français ont publié des mangas avant que Glénat investisse ce secteur dans la première moitié des années 1990. Dès 1978, le japonais Atoss Takemoto lance en Suisse, où il a émigré, la première revue de langue française consacrée au manga, en partenariat avec Rolf Kesselring : Le Cri qui tue. La revue fait découvrir au public francophone les géants de la bande dessinée nippone, parmi lesquels Tezuka, Tatsumi ou Ishinomori. Non rentable, la revue disparaît en 1981. La publication en 1983 de Gen d’Hiroshima de Keiji Nakazawa par les Humanoïdes associés – republié sous le nom de Mourir pour le Japon par Albin Michel en 1990 – et d’Hiroshima de Tatsumi par Artefact sont également des échecs commerciaux.
En fait, c’est surtout à travers la télévision que les Français se familiarisent avec la culture dessinée japonaise à partir des années 1980 : les émissions « Récré A2 » – qui diffuse Goldorak et Candy – puis le « Club Dorothée » - Dragon Ball Z, Ranma 1/2 jouent un rôle fondamental dans la popularisation de l’identité graphique et des thèmes chers au manga. Quand Jacques Glénat récupère les droits de publication d’Akira en 1990 au retour d’un voyage au Japon, le manga n’est plus complètement inconnu des jeunes Français.
Par ailleurs, ce n’est pas Akira, dont la première publication française ne crée pas de raz-de-marée, mais plutôt Dragon Ball qui lance définitivement Glénat sur le marché du manga. Jacques Glénat publie Dragon Ball en France à partir de 1993. Le franc succès du manga de Toriyama s’explique par la diffusion concomitante du dessin animé sur le « Club Dorothé », une publicité dont bénéficie également Ranma 1/2 (qui fait également l’objet d’une belle réédition). Éditeur plus récent que ses principaux concurrents (Le Lombard, Dupuis, Casterman), Glénat voit dans le manga une opportunité de se diversifier en se distinguant de la concurrence, alors que l’éditeur de Grenoble connaît des difficultés économiques après la perte des droits d’édition de sa série-phare Les Passagers du vent de François Bourgeon. La réussite de Dragon Ball incite Jacques Glénat à investir ce secteur délaissé par ses concurrents, qui l’imitent rapidement. Le manga s’affirme alors comme un marché distinct.
Si le discours critique et éditorial forgé a posteriori fait d’ Akira un élément déclencheur de la « vague manga » en France, c’est d’abord en raison du succès critique acquis au fil du temps par l’œuvre d’Otomo. Si Akira a bien contribué à la reconnaissance critique du manga dans l’Hexagone, la « vague manga » est d’abord incarnée par Dragon Ball et les dessins animé du « Club Dorothée » au début des années 1990.
Les péripéties de la publication française
L’histoire de l’acquisition des droits français pour la publication d’ Akira fait partie des mythes régulièrement narrés par Jacques Glénat au gré de ses interventions médiatiques. Au cours d’un voyage au Japon, l’éditeur Jacques Glénat, qui tente en vain de vendre les droits de traduction en japonais de son catalogue, se retrouve à acheter les droits français d’ Akira. L’éditeur choisit alors de s’appuyer pour la publication française de l’adaptation étasunienne d’ Akira publiée en 1988 par Epic, une filiale de Marvel, en couleurs. Supervisée par Otomo, la colorisation effectuée aux États-Unis trahit néanmoins le trait du maître.
Le passage d’ Akira du Japon à la France s’accompagne de transformations qui visent, aux yeux de l’éditeur, à adapter le manga original aux standards que connaissent les lecteurs français. Glénat propose deux formats de publication d’Akira, l’une en format broché proche des fascicules de comics, l’autre en format cartonné rigide qui s’apparente davantage aux standards de la bande dessinée franco-belge. Le transfert de la publication d’ Akira du Japon aux États-Unis et à la France passe par l’accommodement du format et du graphisme de l’œuvre.
- AKIRA © MASH∑ROOM Co., Ltd./ Kodansha Ltd.
Planche extraite de la version colorisée d’Akira que Glénat publie dans la première moitié des années 1990. Réalisée aux États-Unis, cette colorisation a reçue l’aval d’Otomo. Elle masque cependant les spécificités du trait du maître japonais
Le développement du catalogue de mangas publiés en noir et blanc incite Glénat à publier en 1999 l’édition japonaise d’Akira, publiée en noir et blanc. Cette est toutefois proposée dans le sens de lecture français, avec l’inversion des images. Certaines onomatopées insérées dans les cases sont traduites, quand d’autres sont « oubliées » pour atténuer le caractère japonais de l’œuvre. La traduction adapte également les codes culturels au public de l’Hexagone, avec notamment le choix d’un « parler jeune » français tel que les traducteurs se le représentait dans les années 1990.
Trente ans après la première publication d’ Akira, le public français a définitivement adopté les particularités graphiques et les codes culturels de la bande dessinée japonaise. Alors qu’Akira est devenu culte, le lectorat francophone réclame des éditeurs qu’ils adaptent le plus fidèlement possible l’œuvre originale. Cette évolution des attentes a rendu indispensable la réédition d’ Akira dans sa version japonaise.
- AKIRA © MASH∑ROOM Co., Ltd./ Kodansha Ltd.
Dans cette nouvelle édition, Glénat respecte le sens de lecture original. Contrairement à la précédente édition, les inscriptions ne sont pas traduites directement dans la case, et l’ordre de succession original est respecté.
Très attendue, la nouvelle édition rétablit l’ensemble des onomatopées, désormais traduites en bas de la case, et offre une traduction fidèle à l’originale. Glénat a également rétabli la jaquette du manga japonais. Cette réédition, très réussie, ne s’est toutefois pas faite sans mal et a subi plusieurs retards, en raison notamment de la supervision à chaque étape par Kodansha ainsi que par Otomo lui-même. Il s’est ainsi passé quatre longues années entre la réédition du premier tome en 2016 et celle du dernier volume en juin 2019.
Monument de la bande dessinée japonaise, Akira dispose désormais d’une édition à sa mesure. Il reste à espérer qu’elle attirera une nouvelle génération de lecteur, tant Akira conserve aujourd’hui toute sa pertinence. Akira dispose désormais d’une édition à sa mesure, absolument indispensable pour les fans qui souhaiteraient se replonger dans l’œuvre. Il reste à espérer qu’elle attirera également une nouvelle génération de lecteurs, tant Akira conserve aujourd’hui toute sa force et sa pertinence.
La nouvelle édition d’Akira est disponible pour 14,99€ le tome.
Galerie photos
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