Le 25 mai 2018
Un festival de clichés littéraires : Agnès Martin-Lugand n’a rien à raconter et ne trouve même pas les mots pour le dire.


- Auteur : Agnès Martin-Lugand
- Editeur : Michel Lafon
- Date de sortie : 29 mai 2018
- Plus d'informations : Le site officiel

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Résumé : À l’approche de la quarantaine, Hortense se partage entre son métier de professeur de danse et sa liaison avec un homme marié. Elle se dit heureuse, pourtant elle est peu à peu gagnée par un indicible vague à l’âme qu’elle refuse d’affronter jusqu’au jour où le destin la fait trébucher. Mais ce coup du sort n’est-il pas l’occasion de raviver la flamme intérieure qu’elle avait laissée s’éteindre ?
Notre avis : Il y a quelques années, Hervé Laroche a publié un ouvrage très drôle qui traquait les tics d’écriture les plus éculés, paresseusement disséminés dans un certain nombre de livres : cela s’appelait Le Dictionnaire des clichés littéraires. L’entreprise, très flaubertienne, nourrissait sans doute le fantasme de clouer le bec à certains plumitifs et à leurs expressions toutes faites, leurs mots usés jusqu’à la corde, leur prétention à se prendre pour des écrivains. Mais "la bêtise au front de taureau" ne s’embarrasse pas des attaques : elle ignore Laroche et elle s’épanouit dans des récits stupides, où les aventures de personnages stéréotypés sont racontées par un narrateur qui leur ressemble : quelque part entre la tête à claques et le puits sans fond.
Le narrateur n’étant pas à confondre avec l’auteur, on préservera Agnès Martin-Lugand, qui bricole tout de même, depuis Les gens heureux lisent et boivent du café, des feel-good books dont on peut aisément se moquer, sans offenser le plaisir de ceux qui les aiment. Après tout, les romans de gare existent depuis longtemps et ils ne font de mal à personne : c’est souvent ce que disent ceux qui les écrivent, accusant leurs contempteurs d’être des mauvais coucheurs, hargneux, voire méprisants vis-à-vis d’un certain lectorat. On connaît la chanson. Populisme contre élitisme. On ne choisit ni l’un, ni l’autre.
Rien que l’oeuvre.
Que raconte-t-elle ?
Une histoire de résilience.
Une de plus.
L’écrivain avait déjà envoyé l’héroïne éplorée de son premier roman, frappée par un drame familial, dans la lande salée d’une Irlande consolatrice, où l’attendait un rustre taiseux, mais réparateur de coeurs brisés, comme d’autres le sont de moteurs à l’agonie.
Ici, la petite chose fragile s’appelle Hortense : elle a perdu ses parents qu’elle aimait beaucoup, a conservé la propriété familiale (une "maison du bonheur", forcément), s’est lancée à corps perdu dans ses cours de danse qui lui permettent de surmonter son deuil et vit une histoire d’amour avec un homme marié, dont l’agenda, rationnellement tenu, lui permet de passer des heures torrides, tout en empoignant bien sa fourchette, le soir, à la table familiale.
On ne se demande pas si, avec pareille histoire, Marc Lévy ou Guillaume Musso auraient fait mieux : ces auteurs-là sont faits du même bois et leurs mots prennent racine dans une carte du Tendre qui n’a rien d’un trajet complexe. On y chemine, en s’abreuvant de paroles banales, même au plus fort de la passion : ainsi, de la bouche d’Aymeric, notre mâle indécis, ces mots : "Hortense, vous allez me prendre pour un fou, mais je n’arrive plus à travailler, je n’arrive plus à parler, je n’arrive plus à dormir, à vivre normalement. Je ne pense qu’à vous."
En fait, c’est un peu comme si, à l’acmé de son désir, madame de Rênal avait dit "passe-moi le sel" au tout jeune Julien Sorel.
D’où vient alors que l’on ne s’intéresse pas du tout à ces figures, tandis que d’autres lecteurs plébiscitent ces protagonistes à l’eau-de-rose ? D’où vient que les questions d’Hortense ne mobilisent pas plus l’attention qu’une publicité pour un quantième site de rencontres ? Sans doute parce qu’affleure l’idée qu’un changement géographique n’y peut mais : qu’elle tourne en rond dans son petit appartement parisien ou en piste dans sa salle de danse, qu’elle investisse la bastide familiale pour -bien sûr- "se ressourcer", y vive un tournant qu’on attend comme un virage dans les montagnes, Hortense reste désespérément creuse, bête, "d’une banalité de nougat en plein Montélimar" comme aurait dit Pierre Desproges. Juchée sur la falaise d’Etretat, un soir de crépuscule, elle n’aurait rien de plus à avouer que le ciel est "de feu" et l’écho de sa voix énamourée rencontrerait l’agacement d’un compagnon qui, lassé par tant de mièvrerie, la précipiterait quelques mètres plus bas.
Agnès Martin-Lugand a parfaitement le droit d’écrire des sornettes. Mais nous avons aussi le droit de prédire que son prochain roman sera un nouveau portrait de femme
à qui on ne donnerait rien : ni le bon Dieu sans confession, ni les clefs du bonheur.