Yoshihiro Tatsumi et Yoshiharu Tsuge : deux maîtres du manga à (re)découvrir !

À l’heure où les librairies sont saturées de nouveautés mangas à l’originalité discutable, les éditions Atrabile ainsi que Cornélius font le choix pertinent de rendre disponibles en langue française deux maîtres de la bande dessinée nippone : Yoshiharu Tsuge (L’homme sans talents) et Yoshihiro Tatsumi (Rien ne fera venir le jour).

Premiers consommateurs européens de manga, le public français ne connaît pourtant pas toujours les grands classiques de la bande dessinée japonaise, faute de traduction et parfois de visibilité. Si Osamu Tesuka est désormais connu en France, grâce entre autres à la belle exposition que lui a consacré le festival d’Angoulême en janvier 2018 et à une production bien quadrillée bien que dispersée entre de nombreux éditeurs, tous les grands classiques du manga n’ont pas bénéficié du même traitement. En publiant l’œuvre de Shigeru Mizuki (NonNonBâ, Hitler, Kitaro, Opération Mort, etc.),l’éditeur bordelais Cornélius avait déjà exprimé sa volonté de mettre en évidence une figure majeure de la bande dessinée japonaise. Après Mizuki, c’est l’œuvre de Tatsumi que Cornélius choisit d’exhumer.

Couverture de Rien ne fera venir le jour de Yoshihiro Tatsumi -©Cornélius

Père fondateur du gekiga (littéralement « images dramatiques » en japonais), Yoshihiro Tatsumi (1935-2015) a laissé un héritage immense en ouvrant la voie à une bande dessinée japonaise adulte, à travers des récits noirs qui n’hésitent pas à saisir la misère sociale de son époque. D’abord publiée en français à la fin des années 1978 dans le magazine Le cri qui tue, l’œuvre de Tatsumi prend progressivement place dans le catalogue de Cornélius, qui a publié en 2011 la splendide autobiographie en deux volumes Une vie dans les marges. L’éditeur traduit en 2015 Cette ville te tuera (prix du patrimoine à la Japan Expo 2016), premier volume d’une anthologie dédiée à Tatsumi réalisée à partir des originaux de l’auteur, et accompagnée de textes critiques. Disponible en librairie depuis septembre, Rien ne fera venir le jour constitue le deuxième volume de cette anthologie, qui regroupe des histoires courtes parues en 1970 dans divers magazines (Weekly Shonen Magazine, Weekly Manga Times). Ce travail éditorial d’ampleur est à saluer, tant le travail Tatsumi est essentiel pour comprendre l’évolution du manga contemporain.

Couverture de L’homme sans talents de Yoshiharu Tsuge, à paraître en novembre - ©Atrabile

Chez Atrabile, c’est Yoshiharu Tsuge (né en 1937) qui est à l’honneur, avec la réédition de L’homme sans talents (1986). Ce livre tourmenté met en scène un mangaka singulier : celui-ci, refusant tout compromis artistique (travaux de commande, etc), s’enfonce progressivement dans la marginalité et la misère sociale. Dernière œuvre de Tsuge, L’homme sans talents apparaît comme l’autoportrait fictif au vitriol d’un auteur qui a flirté toute sa vie avec la dépression. Édité pour la première fois en 2004 par Ego comme x - éditeur malheureusement disparu - ce récit intimiste et désespéré a été particulièrement salué par la critique. Introuvable en librairie depuis de nombreuses années, L’homme sans talents devrait être à nouveau disponible à partir du mois de novembre 2018.

Avec ces deux nouveautés, Cornélius et Atrabile rendent disponibles au lecteur français les œuvres de deux auteurs majeurs de la bande dessinée japonaise. Saluons ces initiatives, en espérant que ces livres trouveront leur public.