Watchmen - La chronique BD

Octobre 1985. La guerre froide est à son apogée. Un conflit est-ouest est imminent. Aux États-Unis, depuis 1977 et la loi Keene, l’activité des justiciers masqués est illégale. La guilde des Gardiens a donc été démantelée. Ozymandias, Le Hibou et quelques autres se sont retirés de la circulation. L’État s’offre cependant les services de deux d’entre eux : Le Comédien, sorte de super-mercenaire cynique dépourvu de morale, et Docteur Manhattan, unique justicier possédant d’impressionnants "super-pouvoirs". A lui seul, Docteur Manhattan est le dernier verrou empêchant encore la ruée frénétique vers une nouvelle guerre mondiale. Mais Le Comédien est assassiné. Quelqu’un en veut aux justiciers et par conséquent à l’Amérique. Rorschach, le plus atypique des Gardiens, mène clandestinement l’enquête.

A quoi reconnaît-on une œuvre majeure ? Peut-être lorsqu’un auteur bouleverse tant les codes de son art qu’il permet d’atteindre des degrés de perception inégalés.

On peut lire Watchmen dans son intégralité, on peut l’envisager chapitre par chapitre, planche par planche, case par case ou l’aborder suivant le choix des couleurs d’une planche ou des motifs d’une case. On découvrira que la plus petite option artistique de Moore est signifiante, pour comprendre au final que l’on se trouve devant l’une des architectures narratives les plus maîtrisées de toute la bande dessinée. Chaque lecture du livre est l’occasion de nouvelles découvertes. Du superbe chapitre "L’Horloger", qui se joue magistralement des contraintes du temps pour en faire le sujet d’une réflexion étonnante, jusqu’au virtuose "Terrible Symétrie", où Moore articule une géométrie parfaite autour d’une scène clé, Watchmen est une succession de figures époustouflantes orchestrées avec une précision d’orfèvre.

Chacune de ces performances est au service du scénario. A travers la finesse des personnages et leurs ambiguïtés, au fil des subtilités d’une intrigue qui se découvre doucement (bien malin qui peut anticiper la fin), Alan Moore porte un regard brillant sur l’équilibre du monde, sur l’absurde violence des hommes, sur une Amérique névrosée et sa justice divine. Watchmen est également une véritable nécrologie du comics de Super-Héros. Un réquisitoire sans concessions qui enterre le Superman de papa, obligeant les générations suivantes à refondre les modèles.

Seize ans après, ce chef-d’œuvre n’a pas pris une ride, grâce notamment au travail remarquable du dessinateur Dave Gibbons. Et malgré les récents renversements géopolitiques, il reste même terriblement d’actualité. Sans aucun doute, il y a un avant et un après Watchmen.