Le 21 mars 2018
Représentant la Palestine aux Oscars, Wajib lève le voile sur la complexité d’une société où le drame ne tombe jamais dans le mélo.
- Réalisateur : Annemarie Jacir
- Acteurs : Mohammad Bakri, Saleh Bakri, Maria Zreik
- Genre : Drame
- Nationalité : Palestinien
- Distributeur : Pyramide Distribution
- Durée : 1h36mn
- Box-office : 38.446 entrées France / 14.422 Paris Périphérie
- Titre original : Wajib
- Date de sortie : 14 février 2018
- Festival : Rencontres cinématographiques de Cannes 2017
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Résumé : Abu Shadi, 65 ans, divorcé, professeur à Nazareth, prépare le mariage de sa fille. Dans un mois, il vivra seul. Shadi, son fils, architecte à Rome depuis des années, rentre quelques jours pour l’aider à distribuer les invitations au mariage, de la main à la main, comme le veut la coutume palestinienne du "wajib". Tandis qu’ils enchaînent les visites chez les amis et les proches, les tensions entre le père et le fils remontent à la surface et mettent à l’épreuve leurs regards divergents sur la vie.
Notre avis : Taxi Téhéran avait déjà choisi de raconter tout un pays à travers les déambulations mécaniques d’un réalisateur dans la capitale iranienne. Le cinéaste filmait des inquiétudes, des morceaux de joie dérobés entre deux rues, à la limite de l’autofiction et du pamphlet politique. Le film d’Annemarie Jacir (Le sel de la mer), pour sa part, arrête d’abord son regard sur une famille, essentiellement saisie à travers la figure de deux hommes que tout sépare, à commencer par l’âge, le parcours migratoire, et la réussite sociale. Le père est professeur. On le salue dans la rue, on fait œuvre à son égard de beaucoup de commisérations. Mais c’est un homme pauvre, et comme beaucoup de Palestiniens, dominé, résigné aux renoncements que l’occupation israélienne lui impose. C’est un homme fatigué, souvent réactionnaire, mais qui ne se plaint pas. Son fils, Shadi, est architecte, en Italie. Il a réussi au point que les gens restés à Jérusalem le confondent avec sa mère, exilée aux Etats-Unis. Car la réussite ne peut être qu’américaine, là où l’argent coule, le business prospère, à l’inverse de cette Jérusalem où les habitants doivent composer avec une histoire qui leur a échappé.
- (C) Pyramide Films
Paradoxalement, Wajib L’invitation au mariage laisse très peu de place aux femmes. Avec un pareil titre, on aurait imaginé une énième dénonciation de la domination féminine par les hommes, à l’instar de ces nombreux films qui régalent la bonne conscience occidentale comme Les Femmes du bus Wajda ou encore Much loved, où les femmes sont résolues à lutter contre l’oppression de la gente masculine. Il n’en est rien ici. La réalisatrice décrit un véritable mariage d’amour, même si, on finit par supposer que les choses ne sont jamais si claires. Mais ce n’est pas le propos. D’abord, il s’agit de décrire la rencontre entre un fils et son père que le parcours migratoire a éloignés, dans une ville qui n’a pas changé aussi rapidement que l’exil ne modifie les représentations et les consciences.
La coutume veut que les invitations au mariage se distribuent de main à la main. C’est donc la tradition qui fait remettre les deux hommes, l’un à côté de l’autre, dans une voiture de fortune, dont on se dit qu’elle ne tiendra pas longtemps dans ce périple poussiéreux, à travers les rues de Jérusalem. Le film se glisse dans le genre déjà bien connu du road movie, sinon que les événements qui composent leur route, ne font jamais oublier que la fiction est avant tout au service de ces deux figures abîmées par les non-dits, les absences et les méprises culturelles. La force du récit réside dans sa faculté à échapper au mélo familialiste. Au contraire, les dialogues empreints de délicatesse, ne forcent pas à l’emphase. Si parfois, leurs disputes sont telles qu’elles obligent le fils à quitter le véhicule au milieu de la route, on reconnaît aux échanges de regards, aux gestes d’apaisement, que malgré leurs différends, la puissance du lien prévaut sur le reste.
- (C) Pyramide Films
En cela, Wajib se distingue par le parti-pris de très grande pudeur qui occupe le regard de la réalisatrice. Certes, Annemarie Jacir est très sensible à la relation entre ces deux hommes, elle est surtout attentive à la manière dont elle pourra, à travers la petite histoire, raconter celle d’un pays tout entier, dont l’occupation par l’Etat juif a contraint son peuple à trouver du répit, des accommodements, malgré tout ce que les médias veulent bien nous en dire. En effet, le vrai sujet de divergence apparaît entre les deux hommes lorsque le fils comprend que le père réserve une invitation pour un Juif. Pour Shadi, cet homme est un dénonciateur, un traitre, pour le père, c’est une relation qui pourrait lui permettre de devenir directeur de son école.
Ce conflit raconte en quelques séquences, tout l’anéantissement culturel qui bouleverse les consciences. La réalisatrice ne cherche pas à démontrer quoi que ce soit. Elle s’attache à filmer des enfants, des échanges autour d’une terrasse, des détours de rue, a priori sans importance sinon celle de l’esthétique même d’une image cinématographique. Elle filme sans jamais juger, des hommes musulmans qui cèdent à la tentation d’un bon vin ou d’une bière, ou des femmes qui achètent leur indépendance avec leurs charmes et leur bagout intellectuel. Elle observe un pays complexe, qui se débat avec ses propres contradictions, un peu comme ces bâches de plastique que les habitants déploient sur leurs demeures traditionnelles, au grand dam de Shadi, comme pour cacher ce qu’ils assimileraient à un refus de modernité.
Festival de Locarno 2017, prix de la jeunesse
Festival de Dubaï 2017, meilleur film et meilleur acteur
Festival de Londres 2017, mention spéciale du jury
Festival d’Amiens 2017, grand prix et prix du public
Festival de Montpellier 2017, prix de la jeunesse
Oscars 2017, représentant de la Palestine
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