Motus
Le 12 janvier 2005
De la langue originelle à celle de soi, Serge Quadruppani nous égare dans une lumineuse fable linguistique.


- Auteur : Serge Quadruppani
- Editeur : Métailié
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Française

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Antonin écoute la nuit haïtienne derrière la moustiquaire de sa chambre d’hôtel. Il scrute les bruits qui s’échappent de la pièce voisine, celle de Prune, à qui il a donné un prénom et une vie. C’est un écrivain qui invente un écrivain qui invente une femme. Et autour de toutes ces poupées gigognes, comme un lien qui les retient les unes aux autres, l’histoire de langues disparues, inventées, perdues ou retrouvées. Prune serait cette femme, à la recherche d’un lieu mythique, au centre de l’île, où une communauté d’enfants auraient développé leur propre langage. En arrière-fond, un voyage à Grozny, sur les traces des derniers locuteurs d’une langue oubliée. Et puis il y a les mots qui font et défont la vie. Ceux qu’on ne comprend pas, que la mère d’Antonin a notés, avec leurs définitions, dans un cahier d’écolier, jusqu’au dernier, caché entre deux paquets de pages blanches, comme une réponse à l’abandon d’un homme : "frigide".
Ici, tous les tiroirs ont un double fond, et l’innocence des mots n’est que leurre. Inventer sa langue, c’est écrire son histoire, c’est extraire des mots ce qu’ils se refusent à dire, miel ou venin. Serge Quadruppani triture la langue, ses associations, ses coq-à-l’âne, et passe sans cesse de la fable à l’histoire personnelle, de l’image à la légende, du réel à son interprétation. On aurait peut-être aimé qu’il pousse un peu plus loin la métaphore linguistique, dans ces zones de l’imaginaire du verbe où l’on touche à la langue de Dieu. La réalité nous rattrape un peu brutalement, mais c’est aussi le signe qu’on s’était envolés très haut.
Serge Quadruppani, Vénénome, Métailié, 2005, 172 pages, 15 €