Critique : Alors que le roman commence par une description idyllique d’une enfance remplie d’amour, rapidement le lecteur va comprendre que cette première partie n’est qu’un leurre, pour opérer un basculement vers l’horreur et l’indicible. Emmanuel Régniez se retrouve piégé dans un univers sordide, où un enfant ne devrait jamais avoir sa place.
Très vite, le crime sexuel survient, détruisant progressivement son existence et celle de ses sœurs. Sous la plume de l’auteur, la mère devient "l’ogresse", comme pour prolonger la filiation entre le texte et les contes. En effet, si ces derniers sont considérés comme des lectures pour les plus jeunes, il ne faut pas oublier qu’ils relatent des histoires d’inceste (Peau d’Ane), de viol (Le Petit Chaperon Rouge) ou encore de cannibalisme, dans certaines versions de Blanche Neige. Ainsi, en faisant le choix de présenter son récit sous la forme d’un conte de fées, Emmanuel Régniez parvient à sublimer ce fragment de vie, pour en faire un témoignage poignant et en même temps insupportable, tant cette réalité de l’inceste est impossible à endurer.
Une Fêlure illustre par l’exemple l’idée selon laquelle la littérature est un exutoire, qui permet d’exorciser les démons d’un passé trop lourd, dont il est difficile de s’extraire. Tout y est, qu’il s’agisse de la structure presque fragmentée, du style avec des phrases courtes et percutantes, associées à des passages descriptifs qui nous ramènent à l’onirisme des contes, qu’il s’agisse de ce "je" si difficile, car il oblige le lecteur à le lire non pas comme une fiction, mais bel et bien comme un témoignage sur une enfance assujettie à une mère abusive.