Le 2 août 2021
Un grand film, dont le scénario, signé Duras, est aussi subtil que la mise en scène.
- Réalisateur : Henri Colpi
- Acteurs : Alida Valli, Georges Wilson, Charles Blavette, Catherine Fonteney, Clément Harari, Nane Germon, Paul Faivre, Jacques Harden
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Français, Italien
- Distributeur : Théâtre du Temple, Cocinor
- Editeur vidéo : M6 Vidéo
- Durée : 1h30mn
- Date télé : 18 mai 2024 00:26
- Chaîne : France 3
- Reprise: 3 février 2016
- Date de sortie : 17 mai 1961
- Festival : Festival de Cannes 1961
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Résumé : Puteaux 1960 : Thérèse Langlois vit seule et tient un petit café. Son mari a été déporté pendant la guerre. Or un jour elle aperçoit un vagabond qui tourne autour de son établissement. Thérèse est émue et intriguée par cet homme qui ressemble étrangement à son mari...
Critique : Cinéaste rare, Henri Colpi a eu pour ce premier long-métrage une chance inouïe (scénario proposé par Marguerite Duras, multiples récompenses dont la Palme d’Or au Festival de Cannes et le prix Louis Delluc en 1961) en même temps que la malchance de tomber dans le début de la Nouvelle Vague et d’attiser les haines entre ses partisans et ceux de la « Qualité française ». Le film n’a donc pas eu le succès escompté et le cinéaste n’en a plus réalisé que quatre. On mesure en revoyant Une aussi longue absence l’injustice d’un tel traitement car tout ici, de l’interprétation à la mise en scène, de la musique au montage, est passionnant.
Marguerite Duras est partie d’un fait divers pour narrer l’histoire de cette femme, Thérèse, qui croit reconnaître dans un clochard amnésique son mari disparu dans un camp de concentration. On imagine à quel point ce drame a pu la toucher, et elle a concocté de magnifiques dialogues, où l’on retrouve son phrasé si particulier avant qu’il ne se mue en tic caricatural ; des phrases comme : « D’aucune chose, vraiment, vous vous souvenez ? » représentent à merveille la dislocation de la syntaxe qui s’accorde évidemment ici au sujet, cette quête difficile de la mémoire et de l’identité. De même le mari, Albert ou Robert, on ne le saura pas, au lieu de répondre aux questions de sa femme, reprend souvent quelques-uns de ces mots, dessinant un personnage creux qui n’est peut-être qu’une projection, la réalisation d’un espoir. Cela donne un ton poignant, proche parfois du mélodrame, mais un mélodrame presque sans lyrisme, tout de retenue et de gravité.
Le scénario s’ancre dans une réalité forte, celle de la banlieue du début des années 60, une banlieue morne et industrielle, qu’un noir et blanc soigné scrute en nombreuses nuances de gris. Et dans ce paysage que des plans fixes déterminent, passe un clochard. La manière dont Colpi amène son personnage est remarquable : tout se passe comme si Albert-Robert gagnait en même temps que le regard de sa femme le droit d’être à l’écran ; simple silhouette dans la profondeur de champ, puis corps vu de dos, jusqu’à prendre une identité par le gros plan. Ce parcours dans le cadre met en images celui du personnage, clochard anonyme qui acquiert peut-être un nom. De même la façon dont le cinéaste inscrit le personnage dans les embrasures, entre deux rideaux, mimant son enfermement, dit assez la maîtrise de Colpi. Il faudrait également souligner comment Alida Valli passe avec finesse d’un visage fermé à une joie intérieure, comment Georges Wilson incarne véritablement cet être obtus, réduit à des gestes répétitifs, qui s’ouvre peu à peu à l’autre. Dans leurs gestes, dans leurs postures, passe cette infinie tendresse que le réalisateur et la scénariste accordent à ces deux cabossés de la vie. On n’est pas ici, comme parfois dans le mélodrame hollywoodien, dans le grand monde. Ce drame, c’est le drame des petites gens confrontés à une situation hors normes, des petites gens transcendées par leur amour. Le film, s’il fait au début la part belle à des habitués du bar, se centre ensuite sur les deux personnages en même temps qu’il les enferme dans un cadre de plus en plus serré. Y a-t-il plus beau moyen de dire la passion exclusive, quand plus rien ne compte ?
La beauté du cadre, l’utilisation du CinémaScope, l’intelligence du montage composent une méditation sur la mémoire inoubliable, mais aussi une belle leçon de vie : à travers le personnage de Thérèse, Duras et Colpi nous parlent de l’espoir fou, de la passion qui transfigure le quotidien et lui donne son sens. Rien ici d’académique ni de compassé : la simplicité ( les plans où elle le suit, se cache) s’allie à une recherche qui frôle la préciosité ou le tragique théâtral (voir la poursuite finale) pour magnifier un destin hors du commun. Et quand tombe la dernière phrase (« il faut attendre l’hiver »), on rend les armes, ému, subjugué.
Les suppléments :
En 17 minutes, Philippe Durant revient sur la carrière de Colpi, les thèmes, les acteurs et la réception du film. Quelques images d’archives d’entretien avec le réalisateur.
L’image :
La restauration a fait des merveilles : aucun parasite, une image stable et qui respecte toutes les nuances de la photo ou la profondeur de champ. Un léger grain, des noirs profonds, des blancs lumineux, vraiment un beau travail.
Le son :
La seule piste Dolby Digital 2.0 Mono propose un son débarrassé de toute scorie, clair, un peu étriqué mais, dans ce film où la musique et le silence jouent un grand rôle, le fait que certains dialogues soient un peu sacrifiés n’est pas très gênant.
– Sortie DVD : 28 octobre 2015
– Palme d’Or au Festival de Cannes 1961 ; Prix Louis Delluc 1961
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