Le sens de la vie
Le 14 mai 2003
Tissée devant le tribunal des lecteurs, la tapisserie violente et sensuelle de l’âme humaine. Un chatoiement.
- Auteur : Nancy Huston
- Editeur : Actes Sud
- Genre : Roman & fiction, Littérature blanche
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La mort d’un comédien célèbre et les témoignages de ceux qui l’ont connu. Une histoire d’amour et de haine, banale et universelle, tissant devant le tribunal des lecteurs, au fil des journées d’audience, la tapisserie chatoyante, violente et sensuelle de l’âme humaine.
Nancy Huston a le don de la mise en situation insolite. Hier, pour nous faire pénétrer dans la tragi-comédie de la vie, elle nous invitait à une table de Thanksgiving en compagnie d’une douzaine de convives-marionnettes manipulés par un Dieu tout-puissant [1]. Aujourd’hui, convoqués dans un nulle part incertain, ses témoins s’enflamment, s’empoignent, se coupent la parole pour convaincre un Votre Honneur invisible : le lecteur... C’est que l’affaire est d’importance. Cosmo, roi du one man show, comédien charismatique fêté de par le monde entier, a été assassiné d’un coup de couteau dans le ventre. Pourquoi ? Et surtout qui était Cosmo ?
Sont appelés, pour rendre compte à la barre de cet étrange tribunal, quelques personnalités vivantes ou mortes, liées de près ou de loin au drame ainsi que - formidable idée de romancière - une glycine, une passerelle, un étang, une baguette de pain et même le couteau, arme du crime... Leurs monologues vont dessiner le féroce paysage du village natal de l’acteur, un trou du cul du monde à la Holder - mais en pire - muré dans ses certitudes, fermé à toutes les différences, plus petit dénominateur commun de la société d’exclusion dans laquelle nous vivons. Petit à petit affleure un Cosmo contrasté, sorte de portrait cubiste vu à la fois de face, de profil, et sous des angles inédits. Tant il est vrai qu’une glycine ne raisonne pas comme une femme battue, une petite fille aux parents divorcés voit les choses d’une autre manière qu’un cèdre du Liban et rien ne pourra mettre d’accord une mère, une amante, un adolescent en crise, une immigrée algérienne, un expert psychiatre pontifiant dans son jargon et une romancière qui vient mettre son grain de sel pour brouiller un peu plus les pistes.
Une adoration, immense tohu-bohu jubilatoire, bourré de sensualité, jaillissant d’énergie, brosse en polyphonie les pires travers de l’espèce humaine en les entrelardant de ses plus folles espérances. Et surtout fait la part belle au rêve. Cosmo l’acteur et Nancy Huston l’écrivain se rejoignent dans un même combat fondamental, celui de la création. A force de se servir de sa propre substance, peut-être l’artiste court-il le risque de se perdre de vue. Mais cette mise en danger permanente lui donne la faculté magique de nous tirer hors de nous-mêmes, de nous apprendre à regarder les choses d’un oeil neuf, de nous émerveiller de notre propre existence. Car après tout "elles seules, les histoires, sont susceptibles de transformer le chaos de notre vie en destinée". Souffle créateur, seul capable de balayer le quotidien le plus noir, le plus violent, le plus absurde, le plus pitoyable, pour donner un sens à notre passage sur terre.
Comme quoi, s’il fallait encore le prouver, l’imaginaire bien tempéré est le meilleur remède aux misères ordinaires. Et comme quoi on ne pourra jamais se passer des artistes. CQFD. Baissez le rideau, fermez le livre et applaudissez !
Nancy Huston, Une adoration, Actes Sud, coll. "Un endroit où aller", 2003, 405 pages, 20 €
[1] Dolce agonia, Actes Sud, 2001, lire notre critique
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