Un cas pour un bourreau débutant - la critique + test DVD

Un voyage jubilatoire de l’autre côté du miroir.

L’argument : Lemuel Gulliver, voyageur égaré, découvre, sur un lapin tout habillé renversé sur la route, une grosse montre à gousset, avec une inscription dédiée au prince Mounodi. Il se retrouve alors dans un pays mystérieux, Balnibarbi, où la logique des événements et des gens lui est incompréhensible. Amené devant une Académie des Inventeurs, il devient un sujet d’étude...controversé !

Notre avis : Pavel Juracek (1935-1989), considéré comme un des pères de la nouvelle vague tchèque des années 60, n’a réalisé que quatre films, dont deux longs métrages. Celui-ci, sorti en 1969, sera rapidement interdit. Il n’en tournera plus d’autre, ni en Allemagne, où il sera contraint d’émigrer, ni en Tchécoslovaquie, où il retournera en 1983.
Le film est inspiré des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift (Part III : A voyage to Laputa, Balnibarbi, Luggnagg, Glubbdubdrib, and Japan). Mais il est aussi proche de l’univers de Lewis Caroll et de celui de Kafka dont Juracek a d’ailleurs tiré son premier moyen-métrage Joseph Kilian en 1963.
Il commence par un plan de route goudronnée où le spectateur découvre en contre-champ un automobiliste perplexe face à une barrière incongrue. C’est le début d’un dérèglement de l’espace-temps qui va l’entraîner au long de 12 chapitres dans un univers à la fois familier - les décors sont ceux de la Prague baroque et austro-hongroise - et complètement étrange : Balnibarbi où il est interdit de parler le lundi et où une exécution capitale est présentée comme un numéro de cirque avec un gentil bourreau en tablier de cuisinier, et Laputa, l’île volante qui la survole et où, dans les palais, ne sont restés que les bonnes et les jardiniers.
Sans doute un spectateur tchèque de 1969 reconnaissait-il certains aspects de son univers quotidien où l’absurde n’était pas toujours très loin.
Au début il faut un petit peu s’accrocher pour suivre mais très vite on se laisse entraîner dans ce voyage onirique. Cet univers à la fois familier et inquiétant où nous sommes promenés avec le héros de bibliothèques en clairières de forêts, de ruines d’usines en fêtes foraines est magnifié par un prodigieux travail sur la photo noir et blanc qui lui donne une texture extrêmement riche.
Le brio de l’exécution (montage virtuose, cadrages suggestifs, travail sur la voix-off et les voix en général,...etc.) fait craindre au début que le film ne s’enferme dans son propre système et ne finisse par lasser. Mais l’humour sous-jacent et une espèce d’émerveillement constant lui confèrent une légèreté qui le distinguent d’autres entreprises similaires et en font un bonheur de tous les instants.

Le DVD

Un travail soigné qui rend justice à ce joyau méconnu.

Les suppléments : Pas de bonus sur le DVD, mais un livret contenant un entretien fort intéressant avec Pavel Juráček, datant de 1968, et un texte de Antonin Liehm sur le « miracle cinématographique » tchèque de années 60.

Image et son : Beau rendu de la photo noir et blanc de Jan Kališ. La piste son est claire et agréable à l’oreille. Le travail sur les chuchotements, les échos, ... est respecté.

Un petit défaut à signaler : au menu l’accès direct par Film ne fonctionne pas, il faut passer par Chapitres pour lancer le film.