Duel au soleil
Le 20 août 2003
Variations sur l’homme et la foi, l’œuvre de Graham Greene décline inlassablement abandon, doute et solitude. Un Américain bien tranquille dont l’adaptation sort cette semaine sur les écrans, plonge au cœur de cette souffrance, laissant affleurer les sentiments qui auraient pu naître.


- Auteur : Graham Greene
- Editeur : Editions 10-18
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Américaine

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Saïgon. L’empire colonial expire dans la tourmente de la guerre d’Indochine. Deux hommes s’affrontent pour une femme. L’univers tout entier de Graham Greene prend corps dans cette lutte qui ne dit pas son nom, dans cette rivalité qui n’est que la métaphore du conflit intérieur qui ravage tous ses personnages. Pyle, l’Américain, pétri de bonne conscience et de convictions inoxydables, Fowler, l’Anglais, au désespoir forgé par l’âge et les désillusions. Le premier a la foi inébranlable, l’autre ne croit plus en rien.
C’est en miroir que va se tendre cette relation, un miroir dans lequel chacun entrevoit sa part obscure, sa haine et son désir. Fowler et Pyle ne sont qu’un. De l’innocence de l’âge aux illusions perdues. Phuong, la femme, ne s’y trompe pas, qui passe de l’un à l’autre sans questions ni regrets.
Retour sur une mort annoncée. L’histoire prend forme à partir de l’assassinat de Pyle, et dévide les souvenirs, dessinant peu à peu les silhouettes imprécises de deux hommes que rien ne rassemble sinon cette femme dont l’absence explose en une solitude mortelle. Pyle croit encore à l’amour, Fowler sait déjà que ce n’est qu’un rempart contre la mort.
Jamais peut-être Graham Greene n’a été aussi loin dans cette désespérance lucide, dans cette peinture d’un homme revenu de tout qui se voit encore vivre dans les illusions de l’autre. Des hommes hantés par la solitude et le doute, en quête d’un Dieu qui se dérobe à chaque instant et les laisse sans réponse face à l’absurdité du monde. Pas de place pour les passions. Les sentiments se consument sans rien qui les attise, l’amour n’est qu’une présence qui protège du néant.
Pourtant, au milieu de cette débâcle, reste la certitude qu’il existe en chacun de nous cette part d’humanité qui rend la vie acceptable et le monde compréhensible. "Tôt ou tard, il faut prendre parti. Si l’on veut demeurer humain." Alors peut-être que tout n’est pas perdu.
Graham Greene, Un Américain bien tranquille, (The quiet American, traduit de l’anglais par Marcelle Sibon), 10/18, 2003, 305 pages, 7,30 €