Tour de France - Rachid Djaïdani - critique

Critique : Deux antagonistes réunis, bien malgré eux, qui vont devoir apprendre à se supporte : voilà une base de récit classique et souvent exploitée par le cinéma français. On retiendra, entre autres La chèvre (1981) ou L’emmerdeur (1973). Dans l’explosif Rengaine en 2012 (Quinzaine des Réalisateurs à Cannes), Rachid Djaïdani s’attaquait au choc des cultures. C’est désormais au cœur d’une France en proie à la fièvre communautaire qu’il installe son histoire.
Entre Serge, ouvrier bourru et solitaire, en guerre avec le genre humain et en particulier avec les Arabes qu’il tient pour responsables de la conversion de son fils à la religion musulmane ; et Far’Hook, fils d’immigrés maghrébins, jeune rappeur de son état, la complicité n’est pas immédiate.

Copyright Mars Films

Ils ont pourtant bien plus de points communs qu’ils n’imaginent. Le plus âgé, aigri, raciste, ressassant le souvenir de ses illusions perdues, vit dans un coron peu accueillant, au sein d’une région ravagée par le chômage et délaissée par les politiques depuis plusieurs décennies. Depardieu, dont la masse n’a d’égale que le talent, enveloppe d’une pudeur discrète cet homme d’abord détestable dont on devine peu à peu les cicatrices. Le plus jeune, (Sadek tout en justesse à l’ombre du monstre Depardieu), administrativement français mais pas véritablement reconnu comme tel par ses compatriotes, dénonce le manque de reconnaissance d’une République pas si bienveillante qu’elle se plaît à le faire croire. Il leur faudra entreprendre ce voyage à la découverte des ports français (promesse absurde et charmante faite par Serge à sa femme mourante) pour qu’ils comprennent qu’ils appartiennent à la même France des oubliés. De Dieppe à Marseille, en passant par La Rochelle, ce périple est l’occasion de discussions idéologiques épiques parfois graves mais souvent drôles, de beaux moments de complicité (sacrée scène que celle de Serge entamant un morceau de rap pendant que Far’Hook, un peu plus tard, déclamera L’Albatros de Baudelaire), qui se transformeront en solidarité pure et dure, presque paternelle, quand le jeune homme sera, un soir, interpellé par la police.

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L’émotion sous-jacente et la délicatesse de certaines scènes (Depardieu filmé de dos à l’évocation de ses souvenirs familiaux) débarrassent le récit de tous les clichés dans lesquels aurait pu se fourvoyer cet appel à la tolérance et au brassage des cultures.
Certes, quelques esprits chagrins ne manqueront pas de signaler la naïveté de certains propos. Leur sincérité et leur optimisme, magnifiquement véhiculés par un Depardieu tout en sobriété et agréablement accompagné d’un Sadek parfait de retenue (qui, cerise sur le gâteau, nous offrira quelques moments de rap convaincants) ouvrent l’espoir d’un possible vivre-ensemble et donnent raison à cette belle citation d’Antoine de Saint-Exupéry : « Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis ».