Trois fois rien
Le 7 juin 2024
Les derniers blockbusters super-héroïques de Disney laissaient à penser que cette saga avait du plomb dans l’aile, constat malheureusement confirmé par cet inique Marvels. Le début de la fin ?
- Réalisateur : Nia DaCosta
- Acteurs : Samuel L. Jackson, Gary Lewis, Tessa Thompson, Brie Larson, Teyonah Parris, Lashana Lynch, Iman Vellani, Zawe Ashton, Zenobia Shroff, Mohan Kapur, Park Seo-joon
- Genre : Science-fiction, Aventures, Fantastique, Action, Film de super-héros
- Nationalité : Américain
- Distributeur : The Walt Disney Company France
- Durée : 1h45mn
- Date télé : 7 juin 2024 22:45
- Chaîne : Canal+
- Date de sortie : 8 novembre 2023
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Carol Danvers, alias Captain Marvel, doit faire face aux conséquences imprévues de sa victoire contre les Krees. Des effets inattendus l’obligent désormais à assumer le fardeau d’un univers déstabilisé. Au cours d’une mission qui la propulse au sein d’un étrange vortex étroitement lié aux actions d’une révolutionnaire Kree, ses pouvoirs se mêlent à ceux de Kamala Khan - alias Miss Marvel, sa super-fan de Jersey City - et à ceux de sa « nièce », la capitaine Monica Rambeau, désormais astronaute au sein du S.A.B.E.R. D’abord chaotique, ce trio improbable se retrouve bientôt obligé de faire équipe et d’apprendre à travailler de concert pour sauver l’univers. Un seul nom pour cela : "The Marvels" !
Critique : Sic transit gloria mundi, comme le dit un fameux adage vaticanais. Ce qui était hier n’est pas toujours destiné à rester ; est-ce là ce qui attend le Marvel Cinematic Universe (MCU), bac à sable dans lequel font joujou tous les super-héros Disney et cador du box-office depuis ses débuts il y a quinze ans ? La question est légitime au vu de l’accueil timide réservé à The Marvels, son dernier volet. Certes, les beaux succès rencontrés cette année par Black Panther : Wakanda Forever et Les Gardiens de la Galaxie, Vol. 3 doivent nous inciter à ne pas jeter l’eau du bain tout de suite. Mais, quelques mois après celui de l’infect Ant-Man et la Guêpe : Quantumania, le bide de The Marvels ne tient pas uniquement de la sortie de route, et laisse à penser que la vision stratégique de la firme a du plomb dans l’aile…
- Zawe Ashton dans "The Marvels"
- © 2023 Marvel. Tous droits réservés.
Cette vision, finalement, tient à peu de choses : dans cet univers, une suite n’est jamais uniquement une suite, mais aussi et surtout une transition, une jonction perpétuelle entre deux œuvres – ciné ou télé. Par exemple, si ce film-là ne s’appelle pas Captain Marvel 2, c’est parce qu’il n’est pas seulement la séquelle de Captain Marvel, sorti en 2019, mais prolonge aussi les événements survenus dans les mini-séries (diffusées sur la plateforme Disney+) WandaVision et Miss Marvel, lesquelles introduisaient donc deux comparses à cette super-héroïne. Vous n’avez jamais entendu parler de ces séries, ou n’avez pas spécialement envie de vous coltiner douze – inégales – heures de télé avant d’aller voir un film de 1 h 45, sans même parler des aventures initiales des Avengers, les Beatles du combat contre le crime pour qui bûche Captain Marvel ? C’est bien là la principale limite de la méthode Marvel, dont le public se divise désormais en deux factions bientôt irréconciliables : ceux qui visionnent fidèlement – voire servilement – tout ce que la Maison de Mickey diffuse ; et les autres, de plus en plus nombreux, paniqués ou soulés à l’idée de devoir se farcir des tonnes de « contenus » pour apprécier les tenants et aboutissants d’un simple long-métrage.
Le problème, c’est que ce schisme du public ne colle pas vraiment avec les prérogatives d’un blockbuster à grand spectacle (et gros budget) comme The Marvels. D’où, sans doute, ce grand verre d’eau tiède, qui veut s’adresser à tout le monde et finit par ne s’adresser à plus personne. C’est particulièrement criant dans les dialogues du film, qui constitueront pour certains de simples « Précédemment dans… » et resteront cryptiques pour tous les autres. La traditionnelle scène post-générique participe du même geste, en ressuscitant grâce au fameux et fumeux « multivers » les héros d’hier et d’avant-hier – en l’occurrence le Fauve, un personnage (mineur, voire fond de tiroir) de l’univers X-Men jadis chapeautée par la Fox, studio passé sous fanion disneyen en 2017. Vous n’avez pas vu cette saga-là non plus, débutée il y a vingt-cinq ans et riche de treize films ? Vous pourriez y mettre un peu du vôtre, enfin !
Tout dans The Marvels est-il à mettre au rebut ? Certes pas : l’alchimie entre les trois actrices (Brie Larson, Teyonah Parris, Iman Vellani) fait tourner la boutique, même si les scènes qu’elles partagent finissent par ressembler, au mieux à une version super-héroïque des séries Girls ou Insecure, au pire à une nouvelle adaptation de Quatre filles et un jean. Un programme qui en dit assez long sur le type de longs-métrages que la firme produit à présent : de longuets épisodes de sitcoms, avec des clins d’œil appuyés (ici à la comédie musicale Cats), très peu d’enjeux et quasiment zéro ambition cinématographique. Même la meilleure idée du film (on découvre que Captain Marvel est princesse d’une planète où l’on ne s’exprime qu’en chantant) fait long feu et tire sans forcer sur la corde d’un fameux épisode de Buffy diffusé il y a plus de vingt ans. S’il fallait vraiment chercher l’héritage du MCU à Hollywood, ce pourrait être celui-ci : désormais, les frontières – esthétiques, narratives, dans les canaux de diffusion – entre cinéma et télévision n’existent plus ; ne reste plus qu’un torrent sans fin de milliers d’heures audiovisuelles constituant de purs produits d’appel pour la plateforme SVOD maison. Comment s’étonner, dès lors, que les spectateurs ne se déplacent plus en salle ?
- Teyonah Parris, Brie Larson, Iman Vellani dans "The Marvels"
- © 2023 Marvel. Tous droits réservés.
Bien malgré lui, le MCU illustre à merveille ce que l’auteur Bruno Patino appelait récemment la « submersion » numérique dans un ouvrage éponyme. Son postulat est simple : depuis une vingtaine d’années – l’avènement des consommations culturelles numériques, en somme – le nombre d’œuvres disponibles (à la lecture, au visionnage…) a explosé quand le nombre de consommateurs et resté le même. Conséquence directe de cela : le paradoxe du choix. Incapables de choisir entre deux téléfilms de Noël ou deux séries true crime, les spectateurs que nous sommes finissent par ne rien regarder, restant là comme des ânes de Buridan, ou à regarder ce qui nous intéresse à peine. Toujours selon Patino, « l’abondance était une promesse, elle est devenue un problème. » De fait, si le MCU finit par mordre la poussière, ce ne sera peut-être pas uniquement dû à la qualité déclinante (avérée) de ses films ; peut-être s’effondrera-t-il sous le poids de ses propres rêves léviathaniques.
À l’heure où l’on écrit ces lignes, les rumeurs vont bon train sur de putatifs changements de braquets entrepris au sein de l’univers ciné Marvel, comme celui de faire revenir les Vengeurs d’origine, pourtant trépassés. Les raisons évoquées à ces changements ne manquent pas : insatisfaction croissante du public et de la critique, démêlés judiciaire de l’acteur Jonathan Majors (pourtant censé devenir le boss de fin des prochains films Avengers) ou, plus globalement, « fatigue super-héroïque », dont on nous rebat les oreilles depuis des années, sans toutefois que les super-slips prennent moins de place dans le zeitgeist… Et, même si ça n’a l’air de rien, la Maison aux Grandes Oreilles a récemment annoncé la création d’un label « Spotlight », censé mettre en avant des récits (longs-métrages ou mini-séries) autonomes, détachés de tout lien avec d’autres œuvres du même canon. Grosso modo, des histoires avec un début, un milieu, une fin ; les fondamentaux de tout récit, de cinéma ou pas, tel qu’on le conçoit – avec une certaine réussite – depuis la nuit des temps. Ce « New Marvel » (comme on parlait naguère du « New Coke ») épanchera-t-il la soifs des binge drinkers de contenus que nous sommes devenus ? Si l’on veut inciter les gens à retourner au cinéma, cet endroit supposément « humide, malodorant et graisseux » brocardé par David Fincher, il faudra en tout cas de plus solides arguments que The Marvels.
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.