Le 7 décembre 2017
Cette adaptation de John Le Carré glisse vers la tragédie poisseuse et entraîne le spectateur dans un monde gris et opaque à la fois.
- Réalisateur : Sidney Lumet
- Acteurs : James Mason, Harriet Andersson, Simone Signoret, Maximilian Schell, Harry Andrews
- Genre : Drame, Thriller
- Nationalité : Britannique
- Editeur vidéo : Sidonis Calysta
- Durée : 1h55mn
- Date de sortie : 14 juin 1967
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– Sortie DVD et Blu-ray : le 26 septembre 2017
Résumé : L’agent Charles Dodds enquête sur Samuel Fennan, soupçonné de sympathie envers le regime communiste. Après un interrogatoire où Fennan dément toute implication envers le communisme, il est retrouvé mort. L’agent Dodds va devoir prouver qu’il s’agit d’un meurtre...
Notre avis : On pourrait commencer par des réserves, et noter que la réalisation de Lumet manque parfois d’inspiration ou que certaines séquences sentent le fabriqué, et notamment les scènes de couple aux dialogues patauds. Mais elles ne font que mettre en relief d’indéniables réussites : la fin au théâtre, par exemple, est un modèle de finesse, toute de regards et de silences. Trois observateurs, deux observés qui comprennent que tout est joué, et Shakespeare, dont les répliques redoublent le drame humain. À partir de ces données, Lumet installe un long moment, fort et émouvant qui atteint des sommets cinématographiques. Mais ce morceau de bravoure n’explique pas à lui seul la fascination qu’exerce le film.
Sans doute faut-il parler de l’interprétation : James Mason est royal (osons toutefois avouer qu’il est toujours convaincant dans la retenue, un peu moins dans la douleur), Simone Signoret marmoréenne, et le reste à l’avenant. On sera moins sévère avec Harriet Andersson que Tavernier et Guérif dans les bonus, parce que son rôle n’est pas très défendable et qu’elle n’en peut mais. Quelle distribution, cependant ! Il faut voir autant qu’écouter les quasi monologues de Signoret, ou sa manière impeccable de dire : « A qui peut-on demander de nettoyer de telles choses ? » en parlant des taches de sang laissées par le « suicide » de son mari. Du grand art.
Mais ce qui laisse un goût amer et délicieux, c’est la noirceur de l’ensemble, cette suite de trahisons, de faux-semblants, de meurtres sordides ; rien de clinquant ici : même la photo se prive de couleurs pour mieux signifier que, dans cette Angleterre grise et pluvieuse, le bon ni le beau ne peuvent advenir. Et de fait, Dobbs, que sa femme trompe sans relâche, se sent coupable d’un suicide arrangeant une administration indifférente, et mène son enquête dans des lieux glauques en arrivant systématiquement trop tard ; son acolyte vit dans une ménagerie puante et s’endort régulièrement ; son ami couche avec sa femme. Bref, hormis quelques éclairs d’intelligence, il est constamment dans le rôle de la victime, un anti-héros brisé. Brisés, fatigués, tous les personnages le sont : ils cherchent par des dialogues abondants un sens à ce qui leur arrive, mais, si l’intrigue est dénouée, le sens échappe. C’est qu’ils sont accablés par un poids métaphysique, entre le passé traumatisant de Mme Fennan, et le regret d’un monde plus clair pour Dobbs et son ami. Lumet rend remarquablement ce poisseux intégral, multipliant les boues et les intérieurs minables ; il joue même d’endroits vidés de leurs occupants, comme ce restaurant où les personnages ne mangent pas. De manière significative, dans ce monde gris, la couleur est réservée au théâtre. Seul l’artifice est éclatant.
Alors, que reste-t-il ? Dobbs se raccroche à sa femme infidèle, comme Mendel à ses animaux ou Mme Fennan à des idéaux abstraits. Mais ce sont des pis-aller, face au vide angoissant qui les étreint. Dans ce film où tout se dérobe, la résolution n’apporte pas l’apaisement, mais un surcroît de douleur et, comme chez Shakespeare, presque tout le monde meurt assassiné, sans d’ailleurs que ces meurtres aient un sens : ainsi de Mendel, tué comme par erreur.
Sombre, puissant, The deadly affair (oublions le ridicule titre français) l’est indubitablement. Derrière une histoire d’espionnage assez lâche, Lumet dessine un univers désespéré dans lequel de pauvres humains s’agitent en vain, pauvres pantins condamnés d’avance par un sort aveugle. Une tragédie, donc, mais sans grandeur et de la plus belle eau.
Les suppléments :
Outre la bande-annonce et une galerie photos, les trois intervenants habituels y vont de leur commentaires, toujours précis : Bertrand Tavernier révèle la ridicule histoire du changement de nom du héros, puis distribue les bons et les mauvais points (en particulier pour cette pauvre Harriet Andersson) avec la gourmandise qu’on lui connaît (25mn33). François Guérif souligne l’importance de l’atmosphère, et regrette le casting international (6mn30) ; enfin Patrick Brion (9mn) revient sur le traitement de la photographie et loue la « meilleure adaptation de John Le Carré ».
L’image :
La copie a bénéficié d’une magnifique restauration, peut-être un poil trop lissée, mais le travail de la photographie est mis en valeur de belle manière. Aucune scorie, aucun désagrément.
Le son :
Le Blu-ray propose un VF, mais il est impensable, quand on entend les intonations de James Mason, de lui préférer une voix doublée. D’autant que les dialogues sont limpides : ni souffle ni parasites pour gâcher notre plaisir.
Galerie Photos
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