Sur la route à jamais (mushu­ku­mono) - La critique

Raizô Ichikawa incarne une fois de plus un héros tourmenté et oedipien dans ce film de genre très réussi, fruit de sa fructueuse association avec le cinéaste Kenji Misumi.

L’argument : Un yakuza errant à la recher­che du meur­trier de son père ren­contre par hasard un rônin en quête du sien dis­paru après avoir subi un déshon­neur.

Sur la route à jamais (mushu­ku­mono)Notre avis : Le cinéaste Kenji Misumi et la star Raizô Ichikawa (1931-1969) ont tourné ensemble une bonne douzaine de films, souvent mémorables, en particulier les deux volets de Daibosatsu tôge - Le passage du Grand Bouddha (1960), la trilogie dite du sabre (Kiru - tuer, Ken - Le sabre, Ken ki - La lame diabolique), et plusieurs épisodes de la série Nemuri Kyoshiro.
Inédit en France, Sur la route à jamais – mushu­ku­mono, programmé à la MCJP dans le cadre de l’hommage aux Maîtres du cinéma de genre japonais n’appartient à aucune de ces séries mais Ipponmatsu - Pin solitaire, le personnage de jeune yakusa vagabond incarné par Ichikawa y promène bien la même aura romantique que les héros tourmentés que l’acteur interprète d’habitude.
Ces tourments sont, comme souvent dans ces films, de nature oedipienne : c’est le rapport au père qui détermine les actions et les errements du fils. Un père monstrueux dont on croit s’être libéré (Quel bonheur, le jour où j’ai battu mon père et où je me suis libéré de son emprise pour aller, libre, sur les routes ! dit à peu près le héros), mais qu’il faut d’abord, croit-on, venger, et bientôt tuer.

Sur la route à jamais – Mushu­ku­mono - Copyright Kadokawa Pictures

En disant cela nous ne craignons pas trop de révéler un retournement de situation spectaculaire mais auquel le spectateur est longuement préparé car la confirmation de ce qu’on attendait a bien plus d’impact que ne l’aurait l’effet de surprise.
Si le fond est, comme on peut le constater, fort sombre, la forme est cependant assez ludique et même enjouée, et Misumi s’amuse visiblement à tantôt combler, tantôt déjouer les attentes du spectateur. Les combats sont ostensiblement chorégraphiés (magistrale utilisation du scope couleur) et l’action secondaire, la révolte des paysans, a des accents picaresques qui font penser au Kurosawa des Sept Samouraïs. Les seconds rôles sont des caricatures bien croquées et même le personnage du père a un côté grotesque qui ne le rend d’ailleurs pas moins terrifiant.
Quant à celui de l’autre fils, le rônin pleutre qui se dégonfle à chaque fois qu’il est sur le point de se battre, il forme avec le héros un véritable couple de comédie lié par une relation complexe faite de rivalité, de disputes incessantes et d’amour inavoué. Cette relation intéresse davantage le cinéaste que deux personnages féminins, assez beaux pourtant (surtout la femme perdue, forcément sacrifiée), mais qui restent périphériques.

Raizo Ichikawa - Mushu­ku­mono

Raizô Ichikawa, qui n’oublie jamais totalement sa formation d’acteur de kabuki, introduit dans son jeu une espèce de distance ironique, souvent presque burlesque, y compris dans les scènes d’effusion (la mort de son alter-ego auquel il peut enfin dire toute son affection).
Ce côté deuxième degré marque un peu les limites d’un film qui revendique son appartenance au cinéma de genre, mais n’est évidemment pas étranger au vif plaisir que procurent les aventures de Pin solitaire.