Dark Things.
Le 7 juillet 2019
Ce troisième acte de la série phare de Netflix, dont les héros quittent la candeur de la pré-adolescence, opère avec brio une bascule vers une maturité plus sombre. La meilleure saison. À ce jour…
- Série : Stranger Things
- Réalisateurs : Ross Duffer - Matt Duffer
- Acteurs : Winona Ryder, David Harbour, Charlie Heaton, Finn Wolfhard, Millie Bobby Brown , Gaten Matarazzo, Caleb McLaughlin, Noah Schnapp, Natalia Dyer, Joe Keery
- Genre : Fantastique
- Nationalité : Américain
- : Netflix
- Durée : 8 épisodes de 49 à 77 minutes.
- VOD : NETFLIX
- Titre original : Stranger Things
- Date de sortie : 4 juillet 2019
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Résumé : Tandis qu’il rentre chez lui, le jeune Will est témoin d’un scène terrifiante. Non loin de là, un sinistre secret hante les sous-sols d’un laboratoire du gouvernement. (Pitch officiel de la saison 1, pour ceux qui ne connaissent pas du tout…)
Analyse. Écrire sur Stranger Things, en général et en particulier sur sa troisième saison diffusée sur Netflix depuis ce 4 juillet, sans spoiler, relève du défi quasi impossible. Si des lecteurs n’ont pas vu la saison 2 et encore moins la première, la direction du site les autorise à cesser la lecture de cet article, à allumer leur box et zapper sur Netflix*.
Vous êtes encore là ? Vous avez raison. On va se limiter à pitcher le socle de cette saga, car si nous en sommes à la saison 3, nous prenons peu de risques à annoncer que la quatrième cuvée est en fermentation.
1983, Hawkins, petite ville de l’Indiana : Will, un pré-ado, disparaît mystérieusement et ses copains, Mike, Dustin et Lucas se lancent à sa recherche. Mike rencontre une fille évadée d’un mystérieux bâtiment et la cache dans le sous-sol de sa maison. Elle a le crâne rasé, le nombre « 11 » tatoué sur le poignet et est surtout dotée d’étranges pouvoirs. La bande de pré-ados va découvrir que la tranquillité d’Hawkins n’est qu’une façade et affronter des forces dépassant l’entendement. On n’en dira pas plus.
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Au-delà de ses multiples intrigues, Stranger Things est un ahurissant univers 80’s. Dès lors pour en apprécier sa luxuriance, faut-il avoir au moins 50 ans ? Probablement. Les anciens ados ou jeunes adultes de l’époque ne peuvent que jubiler devant ce torrent de références et cameos en tous genres de cinéma et télévision. On citera, en vrac, Scanners, The Thing, Carrie, The Shining, E.T., Dead Zone, Poltergeist, Stand by Me, Terminator, Wargames, Back To The futur, Magnum ou Miami Vices mais aussi des plus subtiles, comme La Dame de Shanghai ou La nuit des morts vivants, le « vrai » de 1968. Ceux qui ont dévoré le magazine Jeux&Stratégies, claqué leur argent de poche dans les boutiques de jeux Descartes et passé des nuits à jouer à Donjons & Dragons, en apprécieront ses références « techniques ». Les fans de littérature fantastique, au-delà de Stephen King, savoureront les évidentes allusions à l’œuvre de H. P. Lovecraft, où des forces venant du cosmos et des fonds des océans, se livrent à de terrifiantes luttes dans des patelins de Nouvelle-Angleterre. Et tant qu’on est dans les références « pointues », à la rédaction on se demande s’il n’y a pas aussi un clin d’œil au délirant bouquin de l’auteur beatnik Richard Brautigan, Le Monstre des Hawkline. Hawkline… Hawkins, non ? Bon, cela n’engage que nous.
Le foulard n’est pas indispensable. Ah ? c’est pour autre chose, pardon…
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Pourtant, le succès de cette série est totalement transgénérationnel ; pour s’en convaincre, il suffit de faire un tour sur les profils des twittos « déchaînés », depuis la nuit du 4 juillet. C’est d’autant plus ahurissant que ses créateurs, les jumeaux Matt et Ross Duffer, également producteurs, scénaristes et réalisateurs, sont nés en 1984 et ont dû être sérieusement biberonnés à coups de VHS par papa et maman. Mais pour donner naissance à cette série quasi « culte », cela ne suffit pas.
Qui aujourd’hui demanderait à son coiffeur une coupe mulet, ou quelle femme porterait un tailleur rose, avec veste à épaulettes assorti à des escarpins jaunes ? Personne. Pourtant ces codes pur sucre 80’s sont totalement digérés dans la culture universelle, que l’on ait été contemporain ou pas de cette décade, qui a livré le meilleur comme le pire. Depuis plus de 15 ans, grâce à Internet et son robinet quasi illimité de sources musicales, photographiques et vidéos, le « revival » est devenu « mainstream » et mine d’inspiration pour films, romans, BD et séries. Dans le genre, Mad Men est un étalon de cet exercice qui ne consiste pas simplement à sortir le carnet de chèques pour payer décors, accessoires, costumes et droits musicaux. Pour qu’un spectateur plonge et devienne fan d’un univers « revival », a fortiori s’il ne l’a pas vécu, il faut le nourrir, et sacrément. Or, Mad Men n’a cessé, durant sept saisons, de patouiller des intrigues bien tarabiscotées et des sujets encore d’actualité : surconsommation, lobbies, racisme, sexisme, homophobie, rapports homme-femme au travail ou ailleurs. Si #meetoo avait existé en 1960, Don Draper et ses collègues auraient eu un certain « succès » ! Alors, Mad Men, Stranger Things, même combat ? Un peu, mine de rien…
(Elle croyait quoi la Working Girl ?)
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Au-delà des wagons de références précitées, pour la reconstitution de l’époque, Netflix a mis le paquet. Hawking est filmée en long et en large, à coups de grands plans extérieurs, avec pléthores de voitures et figurants années 80, et un nombre incroyable d’intérieurs de restaurants, bars, bureaux, commerces, maisons des parents des ados, forêts et campagnes environnantes, bien sûr l’inévitable lycée, un centre commercial à deux niveaux (pourquoi se priver ?) et le fameux mystérieux bâtiment et ses installations intérieures, d’où s’échappe « 11 » **. Et tout ça monté au rythme des tubes de l’époque : Wham, Cindy Lauper, Bon Jovi, Ray Parker Jr, The Clash, Police, Madonna, etc. Voilà décrite la gigantesque boîte de Lego 80’s des Duffer. Puisqu’on parle de ce jeu de construction, vous avez sûrement été épaté un jour par un fan construisant en Lego un vaisseau de Star Wars ou le Titanic, même si ces briquettes, sur lesquelles il vaut mieux éviter de marcher dessus pieds nus, et vous ça fait deux ?
Avec les briques de leur Lego, les Duffer construisent méthodiquement, depuis trois saisons, des architectures de plus en plus sophistiquées et très vicieuses, car si même une partie des références peut vous échapper - ce qui est probablement le cas pour une majorité d’ados fans de la série - vous finissez par plonger. Les Duffer sont de sacrés malins : ils font du Lego aussi bien pour les fans que les « nuls ».
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La première saison installe les fondations des constructions : une galerie de personnages parfaitement développés, dont on sait à peu près tout en ce qui concerne leurs familles, boulots, styles, tempéraments et des amorces sur des blessures passées et secrets cachés. Là-dessus, ils construisent plusieurs arcs narratifs fantastiques qu’ils raccordent habilement dans l’épisode final, qui laisse présager que le retour au calme sur Hawkins, ce n’est pas gagné.
Dans la deuxième saison, nos héros sont encore des ados et les Duffer les entraînent dans une intrigue plus angoissante avec des moments de terreur assez stupéfiants pour une série TV. Comme si la galerie des personnages n’était pas assez complexe, ils en ajoutent de nouveaux, tout en continuant de développer les existants dans leurs vies respectives. Déjà esquissés dans la première saison, des sujets hors de la trame fantastique sont abordés : racisme, violence parentale, délinquance, dépression, couple en déperdition, histoire d’amour par défaut pour rompre la solitude…
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Pour la saison 3, les 80’s sont bien moins un prétexte, si tenté qu’elles l’aient été in fine, mais une simple et solide toile de fond. Les Duffer optent pour une intrigue fantastique plus ramassée, sans renoncer à la mécanique des arcs narratifs parallèles, et s’attachent plus à la vie de la ville, son économie et de leurs personnages. Le volet fantastique devient plus rugueux et sombre, digne de Invasion of the Body Snatchers, avec un mal rampant et insidieux sur fond de guerre froide, et même de corruption. En opérant cette bascule, plus proche de Lovecraft pour les amateurs (l’horreur au quotidien pour simplifier), les Duffer livrent une majorité d’épisodes ancrés dans la vie ordinaire. L’écriture s’attache plus à suivre les passages de la pré-adolescence à l’adolescence ou les embûches propres à la vie de jeune adulte de nos héros : premier amours, envies d’indépendance, décalages de maturité entres copains, premier boulots où, comme dans Mad Men, la future jeune journaliste n’est bonne qu’à porter les cafés. Les Duffer se concentrent également sur les rapports ambivalents qu’entretiennent, depuis le début de la série, le shérif Hopper (David Harbour) et Joyce (Winona Ryder), mère élevant seule Will et son frère. On s’aventure également sur le terrain de l’adultère ou de l’homosexualité avec coming out en prime. Cette bascule vers la maturité fait que c’est plus du côté des adultes que se trouvent les scènes de comédies, et bien moins avec les ados qui perdent leur innocence ou le peu qu’il en reste. Et c’est précisément de là que vient la force de cette troisième saison de Stranger Things, plus mature que les précédentes : on s’attache vraiment à cette pléiade de personnages, on veut suivre ces ados qui grandissent et grandiront, ces adultes pris plus qu’il n’y paraît dans leurs névroses, et à espérer des réactions paradoxalement plus dans leur propre vie que face à ces « choses » qui sèment un sinistre bazar à Hawkins.
En fait, les 80’s sont depuis le début, un piège tordu voulu par les Duffer, pour susciter une fausse nostalgie relative à une époque que la grande majorité des fans n’a pas connue, la finalité étant de rendre accro à leurs personnages. Et alors ? N’est-ce pas le principe quasi ontologique de toute grande bonne série ?
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Sans spoiler (si vous n’avez rien vu, n’allez surtout pas sur les réseaux sociaux !), le dernier épisode de cette saison mélange, en frisant presque le génie, terreur, comédie loufoque et une émotion finale qui…
La réalisation est sans faille, plus cinématographique que télévisuelle ; la quasi totalité du casting est bon, joue parfaitement sa partition, et il est difficile de passer sous silence la personnage de « 11 » interprété par la troublante Millie Bobby Brown, qui n’est pas sans rappeler une certaine Natalie Portman dans Léon de Luc Besson.
Enfin, et cela sera peut être notre unique « faux spoiler », les Duffer ont bousculé une habitude de Netflix. Habituellement, à la fin d’un épisode, le générique bascule dans une vignette en haut de l’écran, et la plateforme vous propose de passer à l’épisode suivant ou une autre série. Sur l’épisode final, pendant le générique, les Duffer nous la joue façon Marvel, avec une petite séquence qui a mis en émoi les fans et cassé Twitter (on répète donc : si vous n’avez rien vu, n’allez pas sur les réseaux sociaux !). Pas l’ombre d’un doute que la saison 4 est dans les tuyaux et surtout que suppose cette réplique qu’on entend sournoisement entre deux portes ?
Stranger Things entre dans la catégorie « culte », va au-delà des 80’s et du fantastique.
(*) Si vraiment vous n’avez rien vu, on n’a pas mis de bande annonce, mais juste le teaser de la S3, pour l’ambiance, garanti zéro spoiler !
(**) Aux USA, des opérateurs organisent des visites de lieux du tournage de cette ville qui n’existe pas…
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