Triple lutz bipolaire
Le 4 mai 2020
Avec sa fausse ambiance teenage dans l’univers impitoyable du patinage artistique, la série Spinning Out est plus axé sur un vrai drame : les troubles bipolaires. Une série rude et inégale mais prenante, voire attachante.
- Réalisateur : Elizabeth Allen Rosenbaum
- Acteurs : Will Kemp, January Jones, Kaya Scodelario, Willow Shields, Evan Roderick, Svetlana Efremova
- Nationalité : Américain
- : Netflix
- Durée : 10 épisodes de 44 à 46 minutes
- VOD : NETFLIX
- Titre original : Spinning Out
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans
- Date de sortie : 1er janvier 2020
- Plus d'informations : Spinning Out
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Résumé : Une jeune patineuse artistique, futur espoir des Jeux Olympiques, se débat entre famille et troubles mentaux quand elle voit son rêve de victoire risquer de lui échapper.
Notre avis : Le 1er janvier 2020, Netflix a mis en ligne Spinning Out. En même temps que Messiah, série sur le retour du messie (ou pas) en Syrie, face à l’État islamique. Inutile d’avoir fait Saint-Cyr pour deviner le buzz et les pseudo-analyses géopolitiques ou polémiques en tout genre qu’elle allait générer. Du coup, Spinning Out est passée sous les radars et a subi la doctrine Netflix consistant à attendre un mois d’audience, avant de valider (ou pas) une suite. Le couperet est tombé : pas de saison 2, terminé, niet ! Maintenant, le plus croquignolesque est que, le confinement bénéficiant allègrement à Netflix, ses serveurs envoient des tombereaux de mails à ses abonnés avec des suggestions comme… On vous le donne en mille ?
- Grave, t’as vu tous les mails envoyés par Netflix ! Cool… »
- Copyright Christos Kalohoridis/Netflix
Nous avons donc vu Spinning Out, avec la frustration de savoir qu’il n’y aura pas de suite (sauf coup de théâtre). Même si ce n’est pas « la » série, Spinning Out respecte parfaitement le cahier des charges minimum : choisir un univers spécifique ; y installer un personnage dans une situation particulière ; ajouter quelques intrigues secondaires ; et enfin, adopter une charte de mise en scène, avec gimmicks, flashback, musiques, etc.
Ce Meccano de base est précisément et remarquablement installé dès le début. Donc, « Tou Dom », puis générique avec défilé de vieilles vidéos délavées d’enfants et ados patineurs artistiques, enchaînant gadins sur gadins, tandis que s’affiche le casting à l’aide de papiers scotchés, au son d’une ballade de Joy Downer. Étrange. Cut. Une joggeuse court sous la neige. C’est Kat Baker, championne de patinage artistique. En montage parallèle, nous suivons une de ses performances au son de l’envoutant 2ème mouvement de la 7ème symphonie de Beethoven. Jusqu’à une vicieuse poignée de plans qui brouillent tout, images et son. Voilà, tout a été posé, carré, propre en trois minutes chrono. Tout du moins, en apparence.
- Grave, mais là, je me concentre sur mes lacets… »
- Copyright Christos Kalohoridis/Netflix
Pas de doute, on est bien dans le cruel monde du patinage artistique et forcément on pense à Moi, Tonya (2018), biopic sur Tonya Harding, patineuse un poil frapadingue des années 90. Sauf que la référence est illico balayée du revers d’une réplique. Spinning Out va s’avérer plus proche du stupide adage, « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué » ? Si cette Kat, interprétée par Kaya Scodelario, trimballe des valises au sens propres (vous comprendrez), hélas, elle en traîne aussi un sacré paquet au sens figuré. Tout comme sa mère, Carol, elle aussi ex-patineuse. Ces valises portent le nom de trouble bipolaire. Ce trouble psychiatrique se caractérise par des alternances de périodes d’euphories, de comportements excessifs (achats compulsifs, sexualité débridée, etc.) et de périodes de totale déprime, et nécessite souvent un traitement lourd. Cette maladie pourrit la vie du patient, en grande partie conscient de son état, mais aussi celle de son entourage : conjoints, enfants, amis, etc. Non, vous n’êtes pas sur Doctissimo, mais bien toujours sur aVoir-aLire. Si nous prenons le temps de cette digression médicale, c’est parce que c’est l’un des piliers de l’arc narratif : un trio infernal, conduisant parfois aux pires situations, formé par Kat, sa demi-sœur, Serena, née d’un autre père, et leur mère Carol qui a tout misé sur elles et le patinage. Comme ces autres parents de jeunes, à la fois et copains et concurrents lors des compétitions locales et nationales, dans l’espoir d’aller aux Jeux Olympiques. Un engagement chronophage et financier qui pousse à d’énormes sacrifices. Mais un peu moins pour Evan, bon patineur, fils à papa fortuné et partenaire de Kat. Coaché par Dasha, ancienne championne de l’ex-URSS, le duo n’a alors que deux ans pour se qualifier pour les JO. À cet enjeu central, s’ajoute, au fil des dix épisodes, diverses intrigues sportives, financières, sentimentales ou sociétales.
Je peux rappeler mon agent ? »
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Alors, oui, on admettra que Spinning Out a dans son écriture, de-ci de-là, quelques mauvais travers du teen drama, mais ils sont moins fumeux que ceux d’Elite, par exemple, qui en est, elle, a sa troisième saison (oui, on balance !). C’est plus la complexité des rapports de Kat avec autrui, passant par le prisme de ses troubles, décrits avec précision - avec parfois des airs faussement Black Swan - , qui donne toute la tenue à la série, quitte à en déséquilibrer sa structure générale.
En fait, Spinning Out pèche plus par son immersion trop partielle, liée à une carence de moments plus « documentés » sur la vie spartiate de ces jeunes, à coups de footing dès six heures du matin, répétitions en salle de danse, coachings et heures interminables sur la glace à s’en détruire muscles, articulations et pieds jusqu’au sang. Mais ce déséquilibre est largement compensé par les scènes de compétition, magistralement filmées, ponctuant quasiment chaque épisode. Ces séquences alternent émotion, avec caméras aériennes et choix musicaux qui nous transportent inévitablement, et stress via des plans serrés ou des caméras subjectives. À ce propos, les acteurs patinent vraiment sur les gros plans (comme Margot Robbie pour Moi, Tonya, ils ont suivi un entraînement avec la professionnelle Sarah Kawahara). Pour les chorégraphies complexes ils sont doublés, sauf Johnny Weir, ex-triple champion des États-Unis, qui interprète un « excentrique » concurrent de Kat et Evan.
Heuu, non, je ne rappelle pas mon agent… »
- Copyright Christos Kalohoridis/Netflix
La série bénéficie également d’un excellent casting. Outre Kaya Scodelario (connue pour la trilogie Le Labyrinthe, ou en « groupie » épousant en prison le serial killer Ted Bundy dans Extremely Wicked, Shockingly Evil and Vile, biopic produit l’an dernier par Netflix), on soulignera la performance de January Jones (ex épouse cocufiée de Don Draper, dans Mad Men, et déjà dépressive) en mère manipulatrice soufflant le chaud et le froid, et dans le rôle de Serena, celle de Willow Shields, échappée de Hunger Games pour plonger dans un autre enfer.
Spinning Out, qui respecte donc tous les « trucs » connus de n’importe quel bon showrunner, se goûte avec plaisir, nous plonge dans un univers vraiment original, avec ses personnages salement tourmentés, ses multiples intrigues, mais nullement gratuites, une narration solidement tenue par la réalisation. Bref, c’est propre et le contrat est rempli. Alors pourquoi nous laisser en plan au bord de la patinoire avec, au bas mot, quatre intrigues en suspens, et nous priver d’une deuxième saison qui, certainement, aurait corrigé ses défauts originels, et probablement livré un récit aussi prenant, voire plus ?
Décidément, les voies des players de Netflix sont parfois impénétrables…
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