Petits arrangements en famille
Le 1er septembre 2018
Un film âpre et direct qui, sous couvert de s’intéresser à la condition de la femme au Maroc, trace avant tout le portait d’un pays en proie à une sévère fracture sociale.
- Réalisateur : Meryem Benm’Barek
- Acteurs : Lubna Azabal, Faouzi Bensaïdi, Sarah Perles, Maha Alemi, Hamza Khafif
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Marocain, Qatarien
- Distributeur : Memento Distribution
- Date de sortie : 5 septembre 2018
- Festival : Festival de Cannes 2018
Prix du scénario Un Certain Regard - Sélection officielle Cannes 2018
Résumé : Sofia, 20 ans, vit avec ses parents à Casablanca. Suite à un déni de grossesse, elle se retrouve dans l’illégalité en accouchant d’un bébé hors mariage. L’hôpital lui laisse 24h pour fournir les papiers du père de l’enfant avant d’alerter les autorités…
Notre avis : D’emblée, un panneau apparaît sur l’écran spécifiant que le code pénal marocain punit de plusieurs mois d’emprisonnement les personnes « coupables » de relations sexuelles hors mariage. Puis, la caméra se glisse à l’intérieur d’un appartement de Casablanca et grâce à un cadrage serré, nous fait partager au plus prés une fête familiale réunissant quelques membres de la moyenne et de la haute bourgeoisie de la ville. Il y est question de contrats juteux qui devraient permettre à chacun de se hisser un peu plus haut dans l’échelle sociale. Sofia, la fille de la maison, reste en retrait. On découvre au fil du film qu’elle ne parle pas très bien le français, porte la djellaba et peine à s’insérer professionnellement. Il faut attendre que son père lui demande d’apporter le dessert pour l’apercevoir.
- Copyright Memento Films Distribution - photo Wiame Haddad
Le visage fermé, elle se plaint de douleurs abdominales qu’elle tente de minimiser. Sa cousine Lena, (la pétillante Sara Perles) vive et délurée, née d’une mère marocaine (Lubna Azabal) et d’un père français (que l’on ne verra jamais) comprend vite que Sofia est sur le point d’accoucher et qu’elle n’en a pas conscience. Prétextant devoir accompagner Sofia aux urgences pour quelques problèmes intestinaux, elle l’emmène à l’hôpital qui refuse cette femme hors-la-loi. Lena est étudiante en médecine et grâce à ses contacts, parvient à faire admettre Sofia dans une clinique qu’il leur faut quitter quelques heures après la naissance du bébé. Le nouveau-né dans les bras, elles commencent une course contre la montre puisqu’elles n’ont que 24h pour retrouver le père de l’enfant. Le récit change alors de cap et laisse progressivement de côté le drame familial pour se muer en une étude sociologique habilement menée.
- Copyright Memento Films Distribution - photo Wiame Haddad
Si la réalisatrice (qui est aussi scénariste) semble dans un premier temps dénoncer la condition de la femme sans cesse tiraillée entre conservatisme et modernité, elle a surtout à cœur d’affirmer qu’elle n’est que le reflet d’un contexte socio-économique cadenassé par la puissance des conventions et la dictature du paraître qui n’emprisonnent pas que la gent féminine. En dévoilant sans tabous un pan pernicieux des hautes couches de la société marocaine (que l’on pourrait retrouver en France ou ailleurs), elle nous entraîne dans un nœud d’hypocrisie aux rebondissements si multiples que pas un instant l’attention ne faiblit.
On perçoit vite le décalage social entre le quartier populaire de Derb Sultan où réside Omar et le quartier aux grandes villas et aux appartements chics habité par la famille de la jeune femme. C’est un garçon doux et un peu perdu par le rôle de soutien de famille qu’il doit endosser depuis le décès de son père. Sofia l’a rencontré sur son lieu de travail et elle affirme qu’il est le père de sa fille, ce qu’il ne reconnaît nullement.
- Copyright Memento Films Distribution - photo Wiame Haddad
Une mise en scène ascétique se met au service d’une narration abrupte et dépouillée de tout jugement et nous ouvre les portes d’une société hautement hiérarchisée. De la découverte du secret de la naissance par les parents aux pots-de-vin octroyés aux policiers pour dénouer discrètement l’affaire en passant par les transactions entre les familles qui pour l’une pressent l’occasion inespérée d’améliorer son sort pendant que l’autre ne pense qu’à sauver un honneur bafoué afin de ne rien perdre de son pouvoir, on découvre entre étonnement et fascination les strates hautement ciselées d’un monde rôdé à l ’art de la dissimulation, où victimes et coupables finissent par se confondre. Cette réalité à la complexité inextricable donne du même coup la possibilité à la jeune comédienne (Maha Alemi dont c’est le premier rôle) de laisser éclater toutes les qualités d’une interprétation à double face que l’on ne peut que saluer. Son visage buté et son attitude soumise ne laissent rien percer de son aptitude à rejoindre le clan des oppresseurs. Sa capacité à passer sans bruit, de l’asservissement à la détermination nous réserve l’une des plus belles surprises du film. Figure tragique empêtrée dans les non-dits d’un patriarcat dont elle se fait complice, elle n’hésite pas à nier tout échappatoire à celui qu’elle désigne comme le père de son enfant et à le condamner à un enfermement social au moins aussi indigne que celui auquel des principes sexistes l’ont conduite, elle et les 150 femmes qui accouchent quotidiennement hors mariage au Maroc et risquent la prison.
- Copyright Memento Films Distribution - photo Wiame Haddad
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jmayo 10 septembre 2018
Sofia - la critique du film
Très beau film décrivant bien la société marocaine et la condition des femmes.
Cependant la fin est déstabilisante et pose le problème de l’homme dans cette société.Lui aussi peut être floué et son rôle est presque pire que celui de Sofia puisque tout se construit sur un mensonge.
un rapprochement avec Me Too ????
Les femmes sont victimes des hommes mais les hommes peuvent aussi être victimes des femmes même si c’est moins fréquent !!