Editions Stock, 2018

Notre avis : Antoine Orsini vient de mourir. On ne dira pas comment il est mort, ni ce qui l’a tué. On écoute, dans les odeurs de maquis, de marjolaine sauvage, la voix d’un homme qui, pour certains ou le reste du monde, n’en était pas tout à fait un et on pense : bon débarras. Car Antoine, que plus personne n’appelle par son prénom, petit dernier d’une famille de trois enfants, est différent, ce qu’autorise certains à le malmener ou le mépriser. En plus, il a tué sa mère en naissant. Alors, même son père et ses frères et sœurs l’ont rejeté. Seule Madame Madeleine, l’institutrice, prend soin de lui durant son enfance. Mais aujourd’hui Madame Madeleine est au cimetière. Alors, il la couvre d’immortelles parce qu’elle mérite un champ de fleurs, même si ça ne sert à rien, vu qu’elle est morte. Et puis, il y a Florence, la plus jolie fille du village, si jolie qu’elle réveille toutes les pulsions des éléments mâles du quartier, en même temps que la méfiance des autres. Elle ressemblait au soleil. Dans ce trou perdu, elle était une star, SA star à lui. Alors, quand on la découvre un matin au milieu des pins, les yeux ouverts sur rien, il devient le coupable idéal. A coups de mots simples et crus, celui qui n’est pas aussi simplet que certains le prétendent, dévoile à une vieille chaise aussi abandonnée que lui, les secrets qu’il détient sur la vie de ces villageois qui le montrent du doigt. Si sa candeur l’isole, sa lucidité brute mais sincère en fait un personnage attachant et drôle malgré lui. Certes, ces réactions mal dégrossies peuvent effrayer, mais Antoine est plus maladroit que malveillant et la poésie qui se dégage de cet être complexe s’infiltre dans les moindres recoins de ce récit décousu, chaotique et cabossé qui, nous trimballant sans ménagement d’une situation à une autre, cultive adroitement le suspens, jusqu’à la surprise du dénouement.
Contournant largement l’écueil de la mièvrerie ou du pathos, Julie Estève aborde avec hardiesse le thème du déclassement social subi par celui qui ne rentre pas dans la norme. Après le déjà très remarqué Moro-Sphinx, elle nous régale d’un roman plein d’une humanité abrupte et d’une simplicité désarçonnante qui vont droit au cœur.