Le 2 mai 2018
Ovni cinématographique ou naissance d’un auteur ? Le film de Ryūsuke Hamgachi est en tout cas un bel objet filmique, délicatesse de narration, et dont la (relative) longueur renforce le pouvoir d’attraction.
- Réalisateur : Ryūsuke Hamaguchi
- Acteurs : Sachie Tanaka, Hazuki Kikuchi, Maiko Mihara, Rira Kawamura
- Genre : Drame, Série cinéma
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Art House Films
- Durée : 2h19mn
- Titre original : Happî Awâ
- Date de sortie : 2 mai 2018
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– Année de production : 2015
– Senses 1&2 : sortie le 2 mai 2018
– Senses 3&4 : sortie le 9 mai 2018
– Senses 5 : sortie le 16 mai 2018
Résumé : À Kobe, au Japon, quatre femmes partagent une amitié sans faille. Du moins le croient-elles : quand l’une d’elles disparaît du jour au lendemain, l’équilibre du groupe vacille. Chacune ouvre alors les yeux sur sa propre vie et comprend qu’il est temps d’écouter ses émotions et celles des autres…
Critique : Senses est un nouveau montage de Happy Hour, un film de 5h17 accueilli triomphalement au Festival de Locarno en 2015. Conscient que la durée du film aurait constitué un obstacle à une exploitation commerciale, le distributeur Art House a eu l’idée de décliner l’œuvre en trois parties, l’affiche et le plan marketing tentant de nous vendre « la première série de cinéma ». Certes, le public averti n’est pas dupe, car de nombreuses expériences ont déjà validé ce genre, des sérials muets de Louis Feuillade à la trilogie Les Mille et une nuits de Miguel Gomes, en passant par des productions télévisées déclinées (partiellement ou en totalité) en épisodes de cinéma : il suffit de penser à ces sommets du septième art que constituèrent Heimat de Edgar Reitz, Le Décalogue de Krzysztof Kieslowski, Twin Peaks de David Lynch (dont deux épisodes cultes furent projetés à Cannes), ou le diptyque Shokuzai de Kiyoshi Kurosawa, auquel le spectateur ne manquera pas de penser a priori. Pourtant, il faut dissiper tout malentendu : Senses ne doit son statut de « série » qu’à sa durée et n’a aucun caractère feuilletonesque, ce qui ne n’empêche pas le film d’exercer un réel pouvoir de fascination. Senses est donc décliné en trois parties (comportant au total cinq épisodes), le nouveau découpage respectant la chronologie initiale mais segmentant le récit en volets qui respectent le libellé des cinq sens selon Aristote : la vue, l’odorat, le goût, l’ouïe et le toucher.
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Le principe pourrait paraître scolaire et démonstratif, pourtant il n’en est rien : la structure de l’ensemble se réfère à une scène centrale au cours de laquelle les quatre amies participent à un atelier de relaxation dont l’animateur est adepte d’une valorisation de ces sens. Or, les participants seront amenés à appliquer ce précepte suite à la disparition de l’une des quatre femmes… Senses est d’abord une étude de mœurs subtile, dans la lignée d’une certaine tendance du cinéma japonais, celui de Ozu, Naruse et Kore-eda, mais on y décèlera aussi des similitudes avec l’ésotérisme d’une Naomi Kawase, lorsque sont convoqués des événements étranges en relation avec la nature et le tremblement de terre de Kobe. On s’attache très vite à ces quatre quadragénaires entretenant leur amitié depuis la période du collège, à l’instar des héroïnes du roman L’École de la chair de Mishima. Akari est une infirmière divorcée, intègre mais n’hésitant pas à se positionner en donneuse de leçons ; Sakurako est femme au foyer, négligée par son époux homme d’affaires, et peu complice d’un fils adolescent faussement taciturne ; Fumi travaille dans une institution culturelle et soupçonne son mari éditeur de la tromper avec une jeune écrivaine ; quant à Jun, elle déclare ne plus aimer son conjoint biologiste qu’elle trompe avec un jeune inconnu.
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Si Senses dépeint avec acuité l’aliénation de la femme japonaise, et notamment celle issue de la classe moyenne, et si la disparition mentionnée dans le synopsis a un enjeu majeur, il ne faudrait pas réduire l’œuvre une dimension sociologique ou à une enquête sur un mystère : le premier aspect n’est qu’une toile de fond, et le second un MacGuffin, révélateur des motivations des protagonistes. L’essentiel est ailleurs : dans ces digressions révélant la noirceur de l’âme humaine (la froideur vis-à-vis d’une grossesse non désirée), ou ces ruptures de ton suggérant une autre interprétation des motivations des personnages (une scène de catharsis dans une discothèque ou un plan fixe sublime autour d’un dialogue entre Akara et la sœur de l’un de ses soupirants). Senses s’avère alors stimulant et sa (relative) longue durée devient un atout dès lors qu’elle permet d’approfondir la richesse du scénario : « Tout comme les actrices ont pu comprendre en profondeur leurs personnages à la lecture du script, les spectateurs comprendraient ces personnages en les observant sur la longueur à l’écran. Il y a une force particulière là-dedans », a déclaré le cinéaste lors d’un entretien avec Nicolas Bardot. Nous ne pouvons donc que recommander cette expérience cinématographique, qui titille d’autant plus la curiosité que Ryūsuke Hamaguchi a été sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes 2018 pour sa dernière œuvre, Asako 1&2.
Notes sur Senses 1&2 : Le segment est le plus long de la « trilogie » (2h19). Pour qui s’attend à retrouver les conventions et le rythme d’épisodes d’une série télévisée, la déception risque d’être réelle, mais est vite dissipée par le pouvoir attractif de la mise en scène. Car, rappelons-le, Senses est avant tout un film de cinéma d’auteur. La scène de l’atelier et son aspect « new age » peuvent faire peur mais le récit des déboires de Jun est suffisamment fort pour capter l’attention.
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