Scandaleusement célèbre - la critique

Avec courage et talent, Douglas McGrath livre son biopic de Truman Capote : délicieux et troublant.

L’argument : Ce qui commence comme un voyage humoristique de l’écrivain Truman Capote, qui ne cache pas son homosexualité tout en évoluant dans les milieux élégants du beau monde de Manhattan, prend une tournure plus sombre à mesure qu’il enquête sur une affaire de meurtres.

Notre avis : Confessons l’inavouable : Scandaleusement célèbre narre exactement la même trame que celle de Truman Capote, biopic bouffé par la performance exceptionnelle de Philip Seymour Hoffman, sorti il y a un an. Ce petit film sans défense court par conséquent le grand risque de tomber dans le piège des deux adaptations qui se chevauchent et ainsi de tourner au grand jeu des comparaisons tannantes. Constat a priori peu rassurant tant les exemples fâcheux du passé ne manquent pas à l’appel : Milos Forman a payé cher son Valmont, sorti un an après la réussite éclatante des Liaisons dangereuses de Stephen Frears, au même titre que Thaddeus O’Sullivan avec Ordinary decent criminal, émergeant, lui, en plein désert estival peu de temps après Le général de John Boorman qui racontait également par le menu la vie de Martin Cahill. Etant donné que les secondes versions se révèlent fréquemment moins convaincantes, la tâche ardue de Douglas McGrath pourrait consister à faire oublier aux spectateurs les restes de la première. En réalité, non.
Sans prétention aucune, le cinéaste filme donc cette relation entre Truman Capote (Toby Jones, étonnant) et Perry Smith (Daniel Craig, filmé comme un sex symbol avant Casino Royale), un des deux assassins, non pas à hauteur d’icônes mais d’êtres humains pétris de défauts. Sans travestir le canevas, Douglas McGrath traite cette liaison sous l’angle d’une histoire d’amour romantique et brûlante où les vacillements sensuels sont perceptibles à l’œil nu. La tension érotique qui parcourt le film atteint son paroxysme lors d’une scène intense où, dans une posture équivoque, le corps du prisonnier viril est possédé par la voix doucereuse et fébrile d’un homme de lettres fasciné par un esprit sensible dans un corps musculeux. On pourra toujours arguer que le réalisateur donne finalement moins d’importance à la manipulation romancière et au processus de création mais il en profite pour amplifier ce contraste entre deux atmosphères distinctes (les soirées mondaines et l’emprisonnement insalubre) fréquentées par Capote. Pareillement, l’atmosphère évolue graduellement passant de la frivolité à quelque chose de viscéral voire de déchirant.
Avec son beau casting (Sigourney Weaver, Sandra Bullock, Isabella Rossellini, Daniel Craig, Jeff Daniels), Scandaleusement célèbre évoque plus une biographie à la Basquiat (Julian Schnabel, 97) qu’une grosse moissonneuse à Oscars hollywoodienne bassement policée. Tandis que Truman Capote suivait scrupuleusement des règles de cinéma très scolaires, Scandaleusement célèbre revendique, lui, l’esprit frondeur du cinéma indépendant US. Toutes les stars, Bullock la première, en profitent pour remiser au placard la performance ostentatoire. Idéalement, le cinéaste fuit la caricature et évite par miracle la lourdeur de procédés dont le cinéma se révèle pourtant friand (les sempiternelles confessions intimes face caméra). Ici, chaque intervenant passe progressivement de la bonne humeur à l’amertume pour parler de Capote et appuyer la déception provoquée par un homme brillant en société, roublard à l’intérieur et dévasté par une rencontre dont il ne s’est jamais remis. Ce mouvement discret accompagne le film, surprenant et audacieux malgré lui, qui démarre dans le pastiche et acquiert sans que l’on s’en rende compte une rigueur et une exigence peu communes. Un seul adjectif pour qualifier Scandaleusement célèbre ? Troublant. C’est déjà beaucoup.