Seppuku de maître
Le 8 mai 2012
Matsumoto, oscillant entre la contre-fable et le vrai conte de samouraï, réussit le prodige de s’assagir sans se calmer. Petite gifle et grande leçon.
- Réalisateur : Hitoshi Matsumoto
- Acteurs : Jun Kunimura, Takaaki Nomi, Sea Kumada, Itsuji Itao
- Genre : Comédie
- Nationalité : Japonais
- Durée : 1h43mn
- Date télé : 21 août 2020 01:00
- Chaîne : ARTE
- Date de sortie : 9 mai 2012
- Festival : Festival de Locarno 2011, Festival du film asiatique de Deauville 2011
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Matsumoto, oscillant entre la contre-fable et le vrai conte de samouraï, réussit le prodige de s’assagir sans se calmer. Petite gifle et grande leçon.
L’argument : Kanjuro Nomi est un samouraï sans sabre, répudié par tous et errant misérablement sur les routes avec sa fille depuis qu’il a refusé de combattre. Tombé entre les mains d’un seigneur aux désirs excentriques, il est condamné à mort, à moins de relever un ultime défi : faire naître un sourire sur le visage triste du jeune prince. Chaque matin, pendant 30 jours, il met donc en scène un nouveau spectacle.
Notre avis : Pour mieux appréhender le Matsumoto, créature sauvage s’il en est, il est nécessaire de se procurer sédatifs et scalpels. Une fois la bête capturée et anesthésiée, il s’agit de l’ouvrir avec précaution, sans risquer de bouleverser son passionnant bordel intérieur. Que contient cet homme puzzle ? Des neurones labyrinthiques, un amour de la pop-culture dévoyée, des super-héros inutiles (Big Man Japan, 2007), une influence télévisuelle revendiquée, des chausse-trappes de la pensée, des grands vides, un humour intraçable doublé d’une obsession maladive pour la fausse-piste et beaucoup d’expérimentations formelles (Symbol ,2009 , film dans lequel il doit s’évader d’une pièce gorgée de mécanismes activés par des petits pénis). Une chose est sûre, ce vrai cancre n’est pas fou et son Saya Zamuraï, nouveau virage dans une carrière dont il semble maîtriser totalement la matrice, devrait solidement étayer cette théorie.
Réalisateur cousin de Takeshi Kitano (avec qui il partage un passé d’animateur télé), Hitoshi aime se créer ses propres obstacles, et quoi de plus délicat pour un laborantin surréaliste que de s’aventurer sur les terres hostiles du premier degré ? En allant puiser le sujet de son dernier-né dans la grande tradition du film de samouraï, sans oublier d’y ajouter références au théâtre Nô et hommages sincères à la culture sentaï (Bioman, par exemple) Matsumoto a pris le risque fou d’enfanter une œuvre lisible et codifiée. Autrement dit, pour un type qui a fait de l’impasse mentale son fond de commerce, et malgré son postulat de départ anti-bushido au possible (le bushido étant le code d’honneur des samouraïs), Saya Zamuraï est un hara-kiri potentiel. Or (parce que vous vous doutez bien qu’il y a un or) ce que l’animal avait caché jusque-là derrière ses fanfaronnades plastiques et autres digressions cintrées, c’est une vraie grâce, autant que l’envie de fabriquer un cinéma accessible, capable de digérer son patrimoine filmique sans le pervertir et d’investir l’inconscient national sans mettre un mouchoir sur son art du court-circuit. Soyez avertis, cyniques de toutes fourrures, Matsumoto a aujourd’hui envie de narrer et de faire narrer.
Faire narrer, parce que pour la première fois, l’acteur Matsumoto s’est lui-même relégué hors-cadre, histoire de donner le rôle principal à Takaaki Nomi, étrange performer qui porte le même nom que son personnage. Et puisque rien n’est fortuit dans ce film, il faut préciser que durant les trois quarts du tournage, c’est-à-dire la mise en boîte des 30 simili-sketchs, Nomi pensait être la vedette d’un documentaire ayant réellement le rire du petit prince dépressif en ligne de mire. Tromper l’acteur pour mieux tromper le public, c’est une partie de la mission que s’est lui-même confiée Matsumoto, faussaire d’utilité publique (« c’est une forme de service spirituel que j’offre au spectateur en le surprenant » dit-il). Parce que derrière le coup-monté, il y a évidemment la volonté de s’assurer du total investissement de Nomi dans ses clowneries géniales. Tour à tour homme-canon, souffleur de moulins à vent, joueur de balai, cracheur de poissons ou bien encore sumo solitaire (dans une séquence rappelant le sketch de l’auto-lutteur des Monty Pythons au Hollywood Bowl) ce petit martyre élastique et masochiste est un hommage ambulant au cinéma burlesque autant que l’héritier cinglé des barons du slapstick.
Mais Nomi n’est pas uniquement le vecteur de la réhabilitation salutaire d’un pur comique de geste. Amuseur à modeler le jour, il est aussi un mari endeuillé et un père humilié la nuit, contraint de porter à bout de mime une fille dévastée par ses lamentables compromissions. C’est vrai que la moindre des choses, quand on est un samouraï déserteur, c’est d’éviter de jouer les Action Man mission déshonneur et de chercher plutôt à s’éventrer dignement pour sauver les meubles. Mais les meubles, Matsumoto s’en fout royalement voyez-vous, il préfère jeter de la gouache criarde dessus et les déplacer constamment, avec l’aisance d’un contrebandier de la Sernam jubilant à l’idée de refondre la notion d’honneur si chère à la culture nippone. De plus, et par le biais d’une mise en scène maîtrisée de bout en bout (d’abord discrète, elle se révèle surpuissante dans les derniers moments du film), Hitoshi travaille toute une imagerie de la parentalité boiteuse, qui cherche à débusquer une véritable crise de la communication derrière la crise d’estime (cloisonnements spatiaux entre Nomi et sa fille, mais également barrières physiques figurées par les armes des geôliers). D’ailleurs, en faisant de la relation entre le prince mutique et son seigneur de père le miroir quasi-exact de celle qui lie les deux personnages principaux, Matusmoto assume intelligemment (et habilement, c’est d’abord l’image qui convoie le sens, bien que la petite soit bavarde) l’universalité de son propos.
Puisque « maturité » est un gros mot en matière de cinéma (et que si on commence à l’appliquer aux films de Matsumoto, on ne saura plus quoi utiliser pour remplacer « sénilité » en parlant de Woody Allen) disons que Saya Zamuraï est une œuvre de la révélation. Révélation du talent d’un artisan à la technique insolente d’abord (et pour une fois, jamais gratuite) mais aussi révélation d’un auteur capable de radicalité au premier degré, bourreau méticuleux du confort d’un spectateur avec qui il ne rompt jamais le pacte d’adhésion fictionnelle. D’autre part, dans sa façon d’aborder les questions de la mort et de la transmission par le désarçonnement, dans sa manière de s’observer et d’interroger sa propre fonction (l’évidente mise en abyme de la figure du bouffon triste incarné par Nomi) le cinéma pourtant très japonais de Matsumoto a plus à voir avec Terry Gilliam époque Baron de Münchhausen qu’avec Kurosawa. Quant à la transformation progressive du récit en apologue bouleversant d’évidence, bouclé par un double- twist aussi limpide qu’étonnant, elle nous évoque directement l’absurdité métaphysique d’un Italo Calvino. S’il n’est pas un chef d’œuvre intégral, Saya Zamuraï est un petit objet bizarre et brillant que nous vous demandons de chérir séance tenante.
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